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Carmen” by Georges Bizet libretto (French)

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Contents: Personnages; Premier Acte; Deuxième Acte; Troisième Acte; Quatrième Acte
PREMIER ACTE

Prélude

N° 1 Scène et chœur

Grande place à Séville
(À droite, la porte de la manufacture de tabac. Au
fond, face au public, pont praticable. De la scène
on arrive à ce pont par un escalier tournant qui fait
sa révolution droite au-dessus de la porte de la
manufacture de tabac. À gauche, le corps de
garde, une petite galerie couverte. Au lever du
rideau, une quinzaine de soldats, dragons du
régiment d'Almanza, sont groupés devant le corps
de garde. Mouvement de passants sur la place.)


LES SOLDATS
Sur la place
chacun passe,
chacun vient, chacun va ;
drôles de gens que ces gens-là !

MORALÈS
À la porte du corps de garde,
pour tuer le temps,
on fume, on jase, l'on regarde
passer les passants.

LES SOLDATS et MORALÈS
Sur la place, etc.
(Entre Micaëla.)


MORALÈS
Regardez donc cette petite
qui semble vouloir nous parler.
Voyez, elle tourne, elle hésite.

LES SOLDATS
À son secours il faut aller !

MORALÈS (à Micaëla)
Que cherchez-vous, la belle ?

MICAËLA
Moi, je cherche un brigadier.

MORALÈS
Je suis là, voilà !

MICAËLA
Mon brigadier à moi s'appelle
Don José...le connaissez-vous ?

MORALÈS
Don José ? Nous le connaissons tous.

MICAËLA
Vraiment ! Est-il avec vous, je vous prie ?

MORALÈS
Il n'est pas brigadier dans notre compagnie.

MICAËLA (désolée)
Alors, il n'est pas là ?

MORALÈS
Non, ma charmante, il n'est pas là.
Mais tout à l'heure il y sera,
il y sera quand la garde montante
remplacera la garde descendante.

LES SOLDATS et MORALÈS
Il y sera, etc.

MORALÈS
Mais en attendant qu'il vienne,
voulez-vous, la belle enfant,
voulez-vous prendre la peine
d'entrer chez nous un instant ?

MICAËLA
Chez vous ?

LES SOLDATS et MORALÈS
Chez nous.

MICAËLA
Non pas, non pas.
Grand merci, messieurs les soldats.

MORALÈS
Entrez sans crainte, mignonne,
je vous promets qu'on aura,
pour votre chère personne,
tous les égards qu'il faudra.

MICAËLA
Je n'en doute pas ; cependant
je reviendrai, c'est plus prudent.
Je reviendrai quand la garde montante
remplacera la garde descendante.

LES SOLDATS et MORALÈS
Il faut rester car la garde montante
va remplacer la garde descendante.

MORALÈS
Vous resterez !

MICAËLA
Non pas ! non pas !

LES SOLDATS et MORALÈS (entourant Micaëla)
Vous resterez !

MICAËLA
Non pas ! non pas ! non ! non ! non !
Au revoir, messieurs les soldats !
(Elle s'échappe et se sauve en courant.)

MORALÈS
L'oiseau s'envole,
on s'en console.
Reprenons notre passe-temps
et regardons passer les gens.

LES SOLDATS
Sur la place
chacun passe, etc.

N° 2 Chœur des gamins

(On entend au loin une marche militaire, clairons
et fifres. C'est la garde montante qui arrive ; un
officier sort du poste. Les soldats du poste vont
prendre leurs fusils et se rangent en ligne devant
le corps de garde. Les passants forment un
groupe pour assister à la parade. La marche
militaire se rapproche. La garde montante
débouche enfin et traverse le pont. Deux clairons
et deux fifres d'abord. Puis une bande de petits
gamins. Derrière les enfants, le Lieutenant Zuniga
et le Brigadier Don José, puis les dragons.)


CHŒUR DES GAMINS
Avec la garde montante,
nous arrivons, nous voilà.
Sonne, trompette éclatante !
Taratata, taratata !
Nous marchons la tête haute
comme de petits soldats,
marquant sans faire de faute,
une, deux, marquant le pas.
Les épaules en arrière
et la poitrine en dehors,
les bras de cette manière
tombant tout le long du corps.
Avec la garde montante, etc.
(La garde montante va se ranger à droite en face
de la garde descendante. Les officiers se saluent
de l'épée et se mettent à causer à voix basse. On
relève les sentinelles.)


MORALÈS (à Don José)
Une jeune fille charmante

vient de nous demander
si tu n'étais pas là.
Jupe bleue et natte tombante.

JOSÉ
Ce doit être Micaëla.
(La garde descendante passe devant la garde
montante. Les gamins en troupe reprennent la
place qu'ils occupaient derrière les tambours et
les fifres de la garde montante.)


CHŒUR DES GAMINS (reprise)
Et la garde descendante
rentre chez elle et s'en va,
sonne, trompette éclatante !
Taratata, taratata !
Nous marchons la tête haute
comme de petits soldats, etc.
(Soldats, gamins et curieux s'éloignent par le fond ;
chœur, fifres et clairons vont diminuant.
L'officier de la garde montante, pendant ce temps,
passe silencieusement l'inspection de ses hommes.
Quand le chœur des gamins a cessé de se faire entendre,
les soldats rentrent dans le corps de garde.
Don José et Zuniga restent seuls en scène.)


Récitative

ZUNIGA
C'est bien là, n'est-ce pas,
dans ce grand bâtiment,
que travaillent les cigarières ?

JOSÉ
C'est là, mon officier,

et bien certainement
on ne vit nulle part filles aussi légères.

ZUNIGA
Mais au moins sont-elles jolies ?

JOSÉ
Mon officier, je n'en sais rien,
et m'occupe assez peu de ces galanteries.

ZUNIGA
Ce qui t'occupe, ami,
je le sais bien :
une jeune fille charmante,
qu'on appelle Micaëla,
jupe bleue et natte tombante.
Tu ne réponds rien à cela ?

JOSÉ
Je réponds que c'est vrai...
je réponds que je l'aime !
Quant aux ouvrières d'ici,
quant à leur beauté, les voici !
Et vous pouvez juger vous-même.

N° 3 Chœur des cigarières

(La place se remplit de jeunes gens qui viennent

se placer sur le passage des cigarières. Les
soldats sortent du poste. Don José s'assied sur
une chaise, et reste là fort indifférent à toutes ces
allées et venues, travaillant à son épinglette.)


JEUNES GENS
La cloche a sonné ; nous, des ouvrières
nous venons ici guetter le retour ;
et nous vous suivrons, brunes cigarières,
en vous murmurant des propos d'amour !
(À ce moment paraissent les cigarières, la
cigarette aux lèvres.)


LES SOLDATS
Voyez-les ! Regards impudents,
mines coquettes,
fumant toutes du bout des dents
la cigarette.

LES CIGARIÈRES
Dans l'air, nous suivons des yeux
la fumée, la fumée,
qui vers les cieux
monte, monte par fumée.
Cela monte gentiment
à la tête, à la tête,
tout doucement
cela vous met l'âme en fête !
Le doux parler des amants,
c'est fumée !
Leurs transports et leurs serments,
c'est fumée !

Dans l'air, nous suivons des yeux
la fumée, etc.

LES SOLDATS
Mais nous ne voyons pas la Carmencita !
(Entre Carmen.)

LES CIGARIÈRES et LES JEUNES GENS
La voilà ! La voilà !
Voilà la Carmencita !
(Elle a un bouquet de cassie à son corsage et une
fleur de cassie au coin de la bouche. Des jeunes
gens entrent avec Carmen. Ils la suivent,
l'entourent, lui parlent. Elle minaude et coquette
avec eux. Don José lève la tête. Il regarde Carmen
puis se remet tranquillement à travailler.)


LES JEUNES GENS
Carmen ! sur tes pas, nous nous pressons tous !
Carmen ! sois gentille, au moins réponds-nous
et dis-nous quel jour tu nous aimeras !

Récitative

CARMEN (regardant Don José)
Quand je vous aimerai ?
Ma foi, je ne sais pas.
Peut-être jamais, peut-être demain ;
mais pas aujourd'hui, c'est certain.

N° 4 Habanera

CARMEN
L'amour est un oiseau rebelle
que nul ne peut apprivoiser,
et c'est bien en vain qu'on l'appelle,
s'il lui convient de refuser.
Rien n'y fait, menace ou prière,
l'un parle bien, l'autre se tait ;
et c'est l'autre que je préfère :
il n'a rien dit, mais il me plaît.
L'amour ! etc.

CHŒUR
L'amour est un oiseau rebelle, etc.

CARMEN
L'amour est enfant de bohème,
il n'a jamais connu de loi :
Si tu ne m'aimes pas, je t'aime ;
si je t'aime, prends garde à toi ! etc.

CHŒUR
Prends garde à toi ! etc.
L'amour est enfant de bohème, etc.

CARMEN
L'oiseau que tu croyais surprendre
battit de l'aile et s'envola -
l'amour est loin, tu peux l'attendre ;
tu ne l'attends plus, il est là !
Tout autour de toi vite, vite,
il vient, s'en va, puis il revient -

tu crois le tenir, il t'évite,
tu crois l'éviter, il te tient.
L'amour ! etc.

CHŒUR
Tout autour de toi, etc.

CARMEN
L'amour est enfant de bohème,
il n'a jamais connu de loi,
Si tu ne m'aimes pas, je t'aime ;
si je t'aime, prends garde à toi !
Si tu ne m'aimes pas, je t'aime, etc.

CHŒUR
Prends garde à toi ! etc.
L'amour est enfant de bohème, etc.

N° 5 Scène

JEUNES GENS
Carmen ! sur tes pas, nous nous pressons tous !
Carmen ! sois gentille, au moins réponds-nous !
(Moment de silence. Les jeunes gens entourent Carmen ;
celle-ci les regarde l'un après l'autre, sort du cercle
qu'ils forment autour d'elle et s'en va droit à Don José,
qui est toujours occupé avec son épinglette.)


CARMEN
Eh! Compère, que fais-tu là?

JOSÉ
Je fais une chaîne pour attacher mon épinglette.

CARMEN
Vraiment ! Ton épinglette ! - épinglier de mon âme !
(Carmen lance la fleur de cassie à Don José. Il se
lève brusquement. La fleur est tombée à ses
pieds. Éclat de rire général.)


LES CIGARIÈRES (entourant Don José)
L'amour est enfant de bohème, etc.
(La cloche de la manufacture se fait entendre une
deuxième fois. Carmen et les autres cigarières
courent dans la manufacture. Sortie des jeunes
gens, etc. Les soldats entrent le corps de garde.
Don José reste seul; il prend la fleur.)


Récitative

JOSÉ
Quels regards! Quelle effronterie !
Cette fleur-là m'a fait l'effet
d'une balle qui m'arrivait !
Le parfum en est fort et la fleur est jolie !
Et la femme...
S'il est vraiment des sorcières
c'en est une certainement.

MICAËLA (entrant)
José !

JOSÉ
Micaëla !

MICAËLA
Me voici !

JOSÉ
Quelle joie !

MICAËLA
C'est votre mère qui m'envoie.

N° 6 Duo

JOSÉ
Parle-moi de ma mère !

MICAËLA
J'apporte de sa part, fidèle messagère,
cette lettre...

JOSÉ
Une lettre ! .

MICAËLA
Et puis un peu d'argent
pour ajouter à votre traitement.
Et puis...

JOSÉ
Et puis ?

MICAËLA
Et puis...vraiment je n'ose,
et puis encore une autre chose
qui vaut mieux que l'argent
et qui pour un bon fils
aura sans doute plus de prix.

JOSÉ
Cette autre chose, quelle est-elle ?
Parle donc.

MICAËLA
Oui, je parlerai ;
ce que l'on m'a donné
je vous le donnerai.
Votre mère avec moi sortait de la chapelle
et c'est alors qu'en m'embrassant :
« Tu vas », m'a-t-elle dit, « t'en aller à la ville ;
la route n'est pas longue, une fois à Séville,
tu chercheras mon fils, mon José, mon enfant.
Et tu lui diras que sa mère
songe nuit et jour à l'absent,
qu'elle regrette et qu'elle espère,
qu'elle pardonne et qu'elle attend.
Tout cela, n'est-ce pas, mignonne,
de ma part tu le lui diras ;
et ce baiser que je te donne
de ma part tu le lui rendras. »

JOSÉ
Un baiser de ma mère !

MICAËLA
Un baiser pour son fils !
José, je vous le rends,
comme je l'ai promis.
(Micaëla se hausse un peu sur la pointe des pieds
et donne à Don José un baiser bien franc, bien


maternel. Don José, très ému, la laisse faire. Il la
regarde bien dans les yeux. Un moment de silence.)


JOSÉ
Ma mère, je la vois !
Oui, je revois mon village !
Ô souvenirs d'autrefois,
doux souvenirs du pays !
Doux souvenirs du pays !
Ô souvenirs chéris !
Vous remplissez mon cœur
de force et de courage.
Ô souvenirs chéris !
Ma mère, je la vois !
Je revois mon village !

MICAËLA
Sa mère, il la revoit !
Il revoit son village !
Ô souvenirs d'autrefois !
Souvenirs du pays !
Vous remplissez son cœur
de force et de courage !
Ô souvenirs chéris !
Sa mère, il la revoit,
il revoit son village !

JOSÉ (ses yeux fixés sur la manufacture)
Qui sait de quel démon

j'allais être la proie !
Même de loin, ma mère me défend,
et ce baiser qu'elle m'envoie
écarte le péril et sauve son enfant !

MICAËLA
Quel démon ? quel péril ?
Je ne comprends pas bien.
Que veut dire cela ?

JOSÉ
Rien ! Rien !
Parlons de toi, la messagère.
Tu vas retourner au pays ?

MICAËLA
Oui, ce soir même :
demain je verrai votre mère.

JOSÉ
Tu la verras !
Et bien, tu lui diras :
que son fils l'aime et la vénère
et qu'il se repent aujourd'hui ;
il veut que là-bas sa mère
soit contente de lui !
Tout cela, n'est-ce pas, mignonne,
de ma part, tu le lui diras,
et ce baiser que je te donne,
de ma part tu le lui rendras.
(Il l'embrasse.)

MICAËLA
Oui, je vous le promets, de la part de son fils

José je le rendrai comme je l'ai promis.

JOSÉ
Ma mère, je la vois ! etc.

MICAËLA
Sa mère, il la revoit ! etc.

Récitative

JOSÉ
Reste là, maintenant,
pendant que je lirai.

MICAËLA
Non pas, lisez d'abord,
et puis je reviendrai.

JOSÉ
Pourquoi t'en aller ?

MICAËLA
C'est plus sage.
Cela me convient davantage.
Lisez ! puis je reviendrai.

JOSÉ
Tu reviendras?

MICAËLA
Je reviendrai.
(Exit Micaëla.)

JOSÉ
Ne crains rien, ma mère, ton fils t'obéira,

fera ce que tu lui dis ; j'aime Micaëla,
je la prendrai pour femme.
Quant à tes fleurs, sorcière infâme !

N° 7 Chœur

(Au moment où il va arracher la fleur de sa veste,
grande rumeur dans l'intérieur de la manufacture.
Entre Zuniga suivi des soldats.)


ZUNIGA
Que se passe-t-il donc là-bas ?

PREMIER GROUPE DE FEMMES
Au secours ! Au secours !
N'entendez-vous pas ?

DEUXIÈME GROUPE DE FEMMES
Au secours ! Au secours !
Messieurs les soldats !

PREMIER GROUPE DE FEMMES
C'est la Carmencita !

DEUXIÈME GROUPE DE FEMMES
Non, non, ce n'est pas elle !
Pas du tout !

PREMIER GROUPE DE FEMMES
C'est elle ! Si fait, si fait, c'est elle !
Elle a porté les premiers coups !

DEUXIÈME GROUPE DE FEMMES
Ne les écoutez pas !

TOUTES LES FEMMES (entourant Zuniga)
Écoutez-nous, monsieur !
Écoutez-nous ! etc.

DEUXIÈME GROUPE DE FEMMES
(tirant l'officier de leur côté)
La Manuelita disait,
et répétait à voix haute
qu'elle achèterait sans faute
un âne qui lui plaisait.

PREMIER GROUPE DE FEMMES
Alors la Carmencita,
railleuse à son ordinaire,
dit : « Un âne, pourquoi faire ?
Un balai te suffira. »

DEUXIÈME GROUPE DE FEMMES
Manuelita riposta,
et dit à sa camarade :
« Pour certaine promenade,
mon âne te servira ! - »

PREMIER GROUPE DE FEMMES
« - Et ce jour-là tu pourras
à bon droit faire la fière ;
deux laquais suivront derrière,
t'émouchant à tour de bras !»

TOUTES LES FEMMES
Là-dessus, toutes les deux
se sont prises aux cheveux !

ZUNIGA
Au diable tout ce bavardage !

Prenez, José, deux hommes avec vous
et voyez là-dedans qui cause ce tapage.
(Don José prend deux hommes avec lui. Les soldats
rentrent dans la manufacture. Pendant ce temps
les femmes se pressent, se disputent entre elles.)


PREMIER GROUPE DE FEMMES
C'est la Carmencita ! etc.

DEUXIÈME GROUPE DE FEMMES
Non, non, ce n'est pas elle ! etc.

ZUNIGA
Holà !
Éloignez-moi toutes ces femmes-là !

TOUTES LES FEMMES
Monsieur ! ne les écoutez pas ! etc.
(Les soldats repoussent les femmes et les
écartent. Carmen paraît sur la porte de la
manufacture amenée par Don José et suivie par
deux dragons.)


N° 8 Chanson et Mélodrame

JOSÉ
Mon officier, c'était une querelle
des injures d'abord, puis à la fin des coups;
une femme blessée.

ZUNIGA
Et par qui ?

JOSÉ
Mais par elle.

ZUNIGA (à Carmen)
Vous entendez, que nous répondez-vous ?

CARMEN
Tralalalala,
coupe-moi, brûle-moi,
je ne te dirai rien ;
tralalalala,
je brave tout -
le feu, et le ciel même !

ZUNIGA
Fais-nous grâce de tes chansons,
et puisque l'on t'a dit de répondre, réponds !

CARMEN
Tralalalala,
mon secret, je le garde, et je le garde bien !
Tralalalala,
j'en aime un autre,
et meurs en disant que je l'aime.

ZUNIGA
Puis tu le prends sur ce ton
tu chanteras ton air aux murs de la prison.

CHŒUR
En prison ! En prison !
(Carmen veut se précipiter sur les femmes.)

ZUNIGA (à Carmen)
La peste!

Décidément vous avez la main leste !

CARMEN
Tralalalala...

ZUNIGA
C'est dommage,
c'est grand dommage,
car elle est gentille vraiment !
Mais il faut bien la rendre sage,
attachez ces deux jolis bras.
(Exit Zuniga. Un petit moment de silence. Carmen
lève les yeux et regarde Don José. Celui-ci se
détourne, s'éloigne de quelques pas, puis revient à
Carmen qui le regarde toujours.)


CARMEN
Où me conduirez-vous ?

JOSÉ
À la prison, et je n'y puis rien faire.

CARMEN
Vraiment, tu n'y peux rien faire !

JOSÉ
Non, rien! J'obéis à mes chefs.

CARMEN
Eh bien, moi, je sais bien

qu'en dépit de tes chefs eux-mêmes
tu feras tout ce que je veux,
et cela parce que tu m'aimes !

JOSÉ
Moi, t'aimer?

CARMEN
Oui, José !
La fleur dont je t'ai fait présent,
tu sais, la fleur de la sorcière,
tu peux la jeter maintenant.
Le charme opère !

JOSÉ
Ne me parle plus, tu m'entends ?
Ne parle plus, je le défends !

N° 9 Séguedille et Duo

CARMEN
Près des remparts de Séville,
chez mon ami Lillas Pastia,
j'irai danser la séguedille,
et boire du manzanilla.
J'irai chez mon ami Lillas Pastia !
Oui, mais toute seule on s'ennuie,
et les vrais plaisirs sont à deux.
Donc, pour me tenir compagnie,
j'emmènerai mon amoureux !
Mon amoureux...il est au diable :
je l'ai mis à la porte hier.
Mon pauvre cœur très consolable,
mon cœur est libre comme l'air.

J'ai des galants à la douzaine,
mais ils ne sont pas à mon gré.
Voici la fin de la semaine,
qui veut m'aimer ? je l'aimerai.
Qui veut mon âme ? Elle est à prendre !
Vous arrivez au bon moment !
Je n'ai guère le temps d'attendre,
car avec mon nouvel amant...
Près des remparts de Séville, etc.

JOSÉ
Tais-toi ! je t'avais dit de ne pas me parler !

CARMEN
Je ne te parle pas,
je chante pour moi-même ;
et je pense...il n'est pas défendu de penser !
Je pense à certain officier,
qui m'aime, et qu'à mon tour,
oui, à mon tour je pourrais bien aimer !

JOSÉ
Carmen !

CARMEN
Mon officier n'est pas un capitaine,
pas même un lieutenant,
il n'est que brigadier ;
mais c'est assez pour une bohémienne,
et je daigne m'en contenter !

JOSÉ
(déliant la corde qui attache les mains de Carmen)

Carmen, je suis comme un homme ivre,
si je cède, si je me livre,
ta promesse, tu la tiendras,
ah ! si je t'aime, Carmen, tu m'aimeras ?

CARMEN
Oui...
Nous danserons la séguedille
en buvant du manzanilla.

JOSÉ
Chez Lillas Pastia...
Tu le promets !
Carmen...
Tu le promets !

CARMEN
Ah ! Près des remparts de Séville, etc.
(Carmen va se replacer sur son escabeau, les
mains derrière le dos. Rentre Zuniga.)


N° 10 Final

ZUNIGA (à José)
Voici l'ordre ; partez.
Et faites bonne garde.

CARMEN (bas à José)
En chemin je te pousserai,

je te pousserai aussi fort que je le pourrais...
Laisse-toi renverser...
le reste me regarde.
(Elle se place entre les deux dragons. José à côté
d'elle. Les femmes et les bourgeois pendant ce
temps sont rentrés en scène, toujours maintenus
à distance par les dragons. Carmen traverse la
scène allant vers le pont.)

L'amour est enfant de bohème,
il n'a jamais connu de loi.
Si tu ne m'aimes pas, je t'aime ;
si je t'aime, prends garde à toi !
(En arrivant à l'entrée du pont, Carmen pousse
José qui se laisse renverser. Confusion, désordre,
Carmen s'enfuit. Arrivée au milieu du pont, elle
s'arrête un instant, jette sa corde à la volée par-
dessus le parapet du pont, et se sauve pendant
qu'à la scène, avec de grands éclats de rire, les
cigarières entourent Zuniga.)


Entracte

libretto by Henri Meilhac, Ludovic Halévy 
Contents: Personnages; Premier Acte; Deuxième Acte; Troisième Acte; Quatrième Acte

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