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“Die Walküre” by Richard Wagner libretto (French)
Contents: Personnages; Acte Premier; Acte Deuxième; Acte Troisième |
Montagnes et rochers sauvages. Au fond de la scène, une gorge s’ouvre, venant d’en bas ; elle aboutit à une arête de rochers surélevés, à partir de laquelle le sol est incliné de nouveau et descend vers la région antérieure de la scène. SCÈNE PREMIÈRE Wotan, armé en guerre et tenant la lance ; devant lui Brunnhilde, en Walkyrie, elle aussi complètement armée. WOTAN Tiens prêt ton cheval, Vierge guerrière ! Rouge exploit Va s’embraser : Brünnhilde vole au combat, Le Wälsung soit le vainqueur ! Hunding soit donné À qui l’attend : Le Walhall n’est pas pour lui. Donc prompte et hardie Cours au combat. BRUNNHILDE (bondissant avec des cris de joie de rocher en rocher vers la hauteur) Hoïotoho ! Hoïotoho ! Heiaha ! Heiaha ! Hoïotoho ! Hoïotoho ! Hahei ! Hahei ! Hoïotoho ! Hoïotoho ! Hoïotoho ! Hoïotoho ! Hoïotoho ! Hoïotoho ! Heihaïa ! Hoïotoho ! (Elle s’arrête sur une pointe élevée du rocher, et crie à Wotan en se retournant vers lui :) |
Toi-même, Père, Arme-toi bien ; Rude assaut Va t’assaillir : Fricka vient, ton épouse, Que traînent de robustes béliers Hei ! elle agite en main Un fouet d’or ! Les pauvres bêtes Tremblent de peur ; Fort grondent les roues : Dur s’annonce l’assaut ! Pareille lutte N’est pas mon fait, Moi qui me plais Aux virils combats : Voyons ta défense à l’assaut ; L’espiègle te laisse en plan ! — Hoïotoho ! Hoïotoho ! Heiaha ! Heiaha ! Hoïotoho ! Hoïotoho ! Hahei ! Hahei ! Hoïotoho ! Hoïotoho ! Hoïotoho ! Hoïotoho ! Heihaïa ! (Elle a disparu sur le côté, derrière la hauteur montagneuse, pendant que Fricka, montant de la gorge, est parvenue à l’arête de rochers, dans un char attelé de deux béliers. Fricka descend rapidement de son char et marche avec véhémence vers Wotan, sur le devant de la scène.) WOTAN L’orage ancien, L’ancien souci ! Pourtant j’y tiendrai tête. FRICKA En ces monts où tu te caches, Fuyant les yeux de l’épouse, Seule ici, Moi je te cherche, Comptant sur ton assistance. WOTAN Que Fricka dise Tous ses griefs. |
FRICKA Jusqu’à moi Hunding crie ; Vengeance est due à son droit : C’est moi qui garde Les liens sacrés ; Je veux Sans faiblesse punir L’affront grave et hardi, L’offense faite à l’époux. WOTAN De quel crime Est-il chargé, Le couple uni par l’Avril ? L’Amour charmeur Enchanta leur sens : Comment châtier l’Amour ? FRICKA Tu veux rester sourd à ma voix, Alors que tu sais pourtant Que pour le saint Serment conjugal, Par eux blessé, je réclame ! WOTAN Nuls sont pour moi Les serments D’un couple sans amour ; N’espère donc Pas m’obliger D’attacher de force Ce qui t’échappe : Où l’effort libre s’affirme, Ma voix l’excite aux luttes ! FRICKA Puisque tu loues L’adultère amour, Poursuis ton ouvrage, Honore et vante Le crime sans égal, L’inceste des deux jumeaux. Mon cœur en frémit, Je tremble d’effroi : La sœur s’abandonne Aux bras de son frère ! Quand donc a-t-on vu Que sœur et frère s’unissent ? WOTAN |
Vois-le - maintenant ! Apprends ainsi Comment vient tout seul Ce qui fut inouï jusque-là. L’amour de ce couple Brille à tes yeux : Aussi retiens mon conseil : Veux-tu bénir Le bonheur et l’ivresse ? Bénis, riant à leur tendresse, Siegmund et Sieglinde unis ! FRICKA (laissant éclater la plus violente fureur) Ainsi c’est fini Du pouvoir éternel, Depuis que tu fis Ces Wälsungen fauves ! C’est là ton but, T’ai-je compris ? Tu comptes pour rien La race sublime ; Tu nies les lois Qui guidaient ta conduite, Tu brises les liens Établis par toi-même, Romps en riant Le pouvoir des deux Pour la libre joie et l’humeur De ces deux trop hardis jumeaux, Rejetons que ton crime a créés ! Oh ! que dis-je Du lien conjugal ! Tout d’abord par toi profané ! L’épouse sûre, L’époux la trompa : Par les abîmes, Par les montagnes, Partout ont cherché Tes désirs, Pour se plaire en d’autres tendresses, Et mieux railler mon malheur ! Toute en pleurs J’endure ma peine, Quand au combat Tu conduis tes filles, Enfants d’un lien D’amour criminel ! Tu craignais pourtant mon courroux, Car leur groupe guerrier, |
— Et Brünnhilde aussi, Ton désir vivant, Fut par toi sous mes ordres placé. Depuis, de nouveaux Surnoms te convinrent, Et « Wälse » aux bois Comme un loup prit sa course ; Oui, tu voulus, Consommant cette honte, Créer un couple D’Humains ordinaires : Oui, le fils de la Louve Va sur l’épouse régner ! Achève à présent ! Va jusqu’au bout ! Tu me trompes, fais qu’on m’écrase ! WOTAN (avec calme) Rien ne t’instruit, Quand je t’explique Ce qui t’est caché toujours, Avant qu’éclate le fait. Seul l’usage A formé ton savoir : Mais ce que nul n’a vu, C’est là tout mon désir ! Or, écoute ! Il faut un Héros, Qui, libre d’aide divine, Soit libre des lois des Dieux : Seul il peut Entreprendre l’exploit Que, pressé de détresse, Le Dieu pourtant ne peut point tenter. FRICKA Détour habile Pour me surprendre ! L’exploit que ces héros Pourraient faire, Tu le prétends trop haut pour leurs Dieux De qui l’aide en eux seule agit ? WOTAN Leur courage propre Compte-il pas ? FRICKA Qui l’a soufflé dans leur cœur ? Qui sut éclaircir leurs regards ? |
Par toi aidés Ils semblent forts ; Par toi poussés Ils vont en avant : Toi seul fis ce zèle Qu’ainsi tu m’oses vanter. Ton cœur médite Quelque autre leurre, Quelque autre ruse Pour me séduire : Mais à ce Wälsung Tu dois renoncer : En lui toi seul parais, Car par toi seul il agit. WOTAN Des maux farouches L’ont fait ce qu’il est : le Dieu l’a laissé seul. FRICKA Que seul il reste encor ! Prends-lui le fer Donné par ta main ! WOTAN Le fer ? FRICKA Oui ―- le fer, qu’un charme saint A rendu fort, Et qu’au fils donna le Dieu ! WOTAN Siegmund le prit de lui-même En l’angoisse. |
FRICKA Toi seul fis l’angoisse, Et de toi vient le fer. Trompes-tu celle Qui nuit et jour A suivi tous tes pas ? Pour lui tu plantas Le fer dans le frêne ; À son bras le glaive Fut promis : Ne l’as-tu pas amené Par ta ruse Seule, au point marqué ? (Wotan fait un geste de colère.) Le Libre Dédaigne l’Esclave, Mais doit punir sa révolte : Contre ton pouvoir J’ai combattu ; Mais Siegmund, l’Esclave, est mien ! (Wotan se détourne avec une sombre irritation.) Qui te domines, Qui te possèdes, Doit-il régner Sur l’épouse éternelle ? D’un tel affront Aurai-je l’opprobre, Appel aux forfaits, Mépris des cœurs fiers ? Mon époux ne veut tel outrage, À l’épouse il laisse l’honneur ! WOTAN (sombre) Que te faut-il ? FRICKA Quitte le Wälsung ! |
WOTAN (d’une voix sourde) Qu’il suive son chemin. FRICKA Mais toi ─ laisse-le seul, Au moment du combat vengeur. WOTAN Je ─ le laisserai seul. FRICKA Parle sans feinte, Point de mensonge ! La Walküre soit contre lui ! WOTAN La Walküre marche libre ! FRICKA Non pas ! ton vouloir Règle seul tous ses actes : Défends-lui donc Siegmund vainqueur ! WOTAN (en proie à la plus véhémente lutte intérieure) Je ne puis pas le perdre : Il prit mon glaive ! FRICKA Retire le charme, Et brise le fer : Siegmund soit désarmé ! BRUNNHILDE (du sommet des rochers) Heiaha ! Heiaha ! Hoïotoho ! FRICKA Voici ta vaillante enfant : Fière et gaie elle accourt. BRUNNHILDE (d’en haut) Heiaha ! Heiaha ! Hoïotoïo ! Hotoïoa ! |
WOTAN (sourdement, à part) Mon ordre pour Siegmund l’arma ! FRICKA Mon honneur sacré D’épouse éternelle Par elle soit gardé ! Raillés des humains, Déchus du pouvoir, Tous les Dieux vont à leur fin, Si mon droit royal N’est pas pleinement Vengé par ta fille aujourd’hui. Que Siegmund tombe à ma gloire : Reçois-je de Wotan serment ? WOTAN (se jetant sur une sorte de siège de rocher, avec un violent courroux intérieur et un désespoir effrayant) Prends le serment ! (Dès que Brünnhilde a aperçu Fricka du haut du roc, elle a interrompu son chant, et elle a descendu le sentier rocheux, silencieuse et lente, en conduisant son cheval par la bride ; elle mène sa monture sous l’abri d’une caverne, hors de la scène, et Fricka, qui se dirige vers son char pour y remonter, se trouve passer devant elle.) FRICKA Wotan ici t’attend : Va, qu’il te dise Quels décrets il a pris ! (Elle monte dans son char, qui s’éloigne rapidement vers le fond.) |
SCÈNE 2 BRUNNHILDE (s’avance vers Wotan avec une mine surprise et inquiète : Wotan, affaissé en arrière sur le siège de rochers, appuie sa tête sur sa main, et semble enseveli dans une ténébreuse méditation) Mal a fini L’assaut, Fricka semble joyeuse ! Père, que doit Ta fille apprendre ? Sombre et triste tu songes ! WOTAN (laisse tomber son bras, comme épuisé, et baisse la tête sur la poitrine) J’ai fait les chaînes Qui m’ont pris : Moi, l’être le moins libre ! BRUNNHILDE Tel tu ne fus jamais ! Quelle affre t’étreint ? WOTAN (levant le bras dans une sauvage explosion de colère) Ô honte sacrée ! Affreux déshonneur ! Maux des Dieux ! Maux des Dieux ! Rage sans fin ! Deuil éternel ! Ma peine est mortelle entre toutes ! BRUNNHILDE (effrayée, jette loin d’elle son bouclier, sa lance et son casque, et s’agenouille aux pieds de Wotan avec une tendresse inquiète) Père ! Père ! Parle, explique ! Oh ! pourquoi effrayer ton enfant ! Raconte-moi : Mon cœur est sûr ; Vois, Brünnhilde prie ! (Elle appuie sa tête et ses mains, avec abandon et tendre angoisse, sur la poitrine et les genoux de Wotan.) |
WOTAN (la regarde longuement dans les yeux, et lui caresse les boucles de la chevelure : comme revenant à lui après une profonde méditation, il commence enfin à parler, d’une voix très basse) Si je l’exprime, N’est-ce briser Ce qui tient encor mon vouloir ? BRUNNHILDE (lui répondant d’une voix pareillement basse) À ton vouloir tu parles, Me disant ton désir : Qui suis-je, Hors ton vouloir vivant ? WOTAN Ces choses qu’à tous mon cœur cèle, Inexprimées Toujours qu’elles restent : À moi je parle, Parlant à toi... (D’une voix plus assourdie encore, plus lugubrement mystérieuse, tandis qu’il regarde Brünnhilde fixement dans les yeux.) |
Du jeune Amour La joie m’ayant fui, Mon cœur souhaita le Pouvoir : L’ardent désir Grondant en ce cœur Soumit le monde entier. Sans le comprendre, Œuvre trompeuse, J’ai sous mes lois Englobé le mal : Loge m’a pris dans ses ruses, Et puis, errant, a fui. Mais l’Amour Demeurait mon envie ; Mon Pouvoir rêvait la tendresse. Le fils des nuits, Le triste Nibelung, Alberich, y renonça ; Il maudit tout Amour Et conquit par ce crime L’Or splendide du Rhin Et par lui toute puissance. L’Anneau qu’il forgea, Ma ruse sut le prendre : Mais au Rhin Je ne l’ai rendu ; J’en ai payé Le prix du Walhall, Le burg que de forts Géants firent, Et d’où j’ai régné sur le monde. La Toute-Sage Au sûr savoir, Erda, l’auguste Wala sachante, M’a fait laisser cet Anneau, Me présidant ruine éternelle. Je voulus en savoir Plus encore... Muette, la Wala disparut. Je perdis ma joyeuse ardeur ; Le Dieu souhaita de savoir : Jusqu’au cœur du monde Je descendis : Le charme d’amour Soumet la Déesse, Dompte son fier savoir, Et la force à me parler. D’elle j’ai su des secrets ; Par moi son sein a conçu : L’enfant né de la Toute-Sage, Brünnhilde, c’est toi. |
Huit sœurs près de toi Ont grandi : À vous, Walküren, Votre tâche Fut d’écarter Le péril prédit La Fin des puissances divines. Pour l’âpre assaut Que veut l’ennemi, Vous m’ameniez les plus braves : Ces Hommes, courbés Sous nos lois sévères, Ces Hommes, dont Nous brisâmes l’ardeur, Que nos pactes sinistres, Liens de mensonge, Dévouent aux aveugles Obéissances, Vous dûtes les rendre Prompts aux batailles, Et de cœurs rudes Aux durs combats, Guerriers hardis, devant peupler Les salles du Walhall saint. |
BRUNNHILDE Les guerriers peuplent tes salles, Forts et nombreux par mes soins. Pourquoi cette crainte, Voyant notre zèle ? WOTAN Un autre effroi, Sache-le bien, Fut par la Wala prédit ! Du Gnome l’armée Veut notre perte : De rage et d’envie Gronde le Niblung ; Mais moi je n’ai peur De ses hordes nocturnes, Mes héros les peuvent braver. Si pourtant l’Anneau Retombe en sa puissance Alors le Walhall succombe Car le Nain jadis Maudit l’Amour, ... Et lui seul peut User du charme Pour l’éternelle Honte des Dieux ; Il peut gagner À lui mes héros ; Forcer les braves Même à trahir Par leur effort Me vaincre à mon tour. J’ai cherché le moyen De soustraire l’Or à ses ruses : Veilleur avide, L’un des Géants Qu’avec l’Or maudit J’avais payés, Fafner garde cet Or, Qui le fit meurtrier de son frère. Comment lui ravir l’Anneau Qu’il reçut de moi pour salaire ! Avec lui j’ai traité, Je ne dois rien reprendre ; Sans nul pouvoir Je suis devant lui : Telle est la chaîne Qui m’attache : Si les traités me font roi, Des traités je suis le captif ! Un seul pourrait |
L’impossible exploit : Héros pour qui Jamais je n’agisse ; Qui, loin du Dieu, Privé de faveur, Sans savoir, Sans mon appel, En sa propre angoisse, Par ses propres armes, Fit cet exploit Qu’il me faut laisser, Sans l’avoir appris de moi. Dont c’est l’unique désir ! Révolté contre moi — pour ma cause ! L’ami ennemi, Comment le trouver ? Ce Fort vraiment libre, Qui, sans mon aide, Dans sa révolte même M’est cher plus que tous ? Comment créer l’être Distinct de moi, Faisant sans moi Ce que moi je veux ! Détresse des Dieux ! Honte sans nom ! Dégoût de ne trouver Que moi seul Dans toutes mes entreprises ! Et l’Autre, que je désire, Cet Autre m’échappe à jamais !... Lui-même le Libre se crée, Esclaves, tous ceux que j’ai faits ! |
BRUNNHILDE Mais le Wälsung, Siegmund, Seul a lutté ? WOTAN Fauve, aux bois J’ai guidé sa course ; Contre les lois des Dieux J’ai poussé sa valeur, Et contre leur vengeance Seul le protège le fer, Que la faveur D’un Dieu lui donna. Qu’ai-je voulu Mentir à moi-même ? L’erreur fut si bien Par Fricka montrée ! Son œil vit clair Ma honte sans nom : À son vœu je dois satisfaire ! BRUNNHILDE Tu ôtes à Siegmund la victoire ? WOTAN (laissant éclater la plus sauvage douleur de son désespoir) J’ai touché jadis à l’Anneau Âpre, j’ai tenu l’Or ! Le charme maudit S’acharne sur moi : Mon amour, je dois le détruire, Perdre tous ceux que j’aime, Lâche, trahir Qui me chérit ! Croule à jamais, Règne éclatant, Gloire divine, Honte des Dieux ! Effondre-toi, Mon Œuvre puissant ! Vain fut mon effort, Unique est mon vœu, La Chute ! La Chute ! (Il s’arrête un instant et songe.) Et pour la Chute Veille Alberich ! Je comprends Maintenant le sens Des mots sinistres de Wala : |
« Si le sombre ennemi d’Amour Crée un fils en sa rage, La Fin des Dieux Ne doit tarder ! » Le Niblung noir, Je l’ai su récemment, À ses vœux soumit une femme, Que l’Or lui a livrée. Un fruit de haine Doit naître d’elle ; Ce fruit maudit Croît dans son sein : Le Nain sans amour Obtint ce prodige ; Mais le Héros que j’aime, Le Libre, jamais ne naîtra : (Avec fureur.) Béni soit ton règne, Niblung futur ! Ce qui m’écœure, Prends-en l’héritage, L’éclat des Dieux, ce néant : Qu’il meure, par toi dévoré ! |
BRUNNHILDE (effrayée) Oh dis, parle ! Que fera ton enfant ? WOTAN (avec amertume) Suis l’ordre de Fricka, Sauve ses lois sacrées ! Ce qu’elle veut, J’en fais mon décret : Que sert de vouloir moi-même ? Je ne puis rêver l’Être Libre ! Pour qui sert Fricka Lutte à présent ! BRUNNHILDE Oh ! regrette Et reprends l’arrêt ! Tu aimes Siegmund : Moi, de ton cœur Certaine, je sauve le Wälsung. WOTAN Fais périr le Wälsung, Que Hunding par toi soit vainqueur ! Garde-toi bien, Sois ferme en ta force ; Tout ton courage Est utile aujourd’hui ; Un fer vainqueur Arme Siegmund, Fier sera son effort ! BRUNNHILDE Lui qu’à chérir Toujours tu m’appris, Lui si noble et fier Et si cher à toi-même, Contre lui rien ne m’impose Ton double vouloir ! WOTAN Ah ! qu’oses-tu ! Est-ce un défi ? Qui es-tu, hormis l’aveugle Choix de mon vouloir ? T’ayant mise en œuvre, Vins-je si bas, Qu’on m’outrage alors Qu’on me doit l’existence ? |
Crains, enfant, ma fureur ! Ton cœur frémirait Devant sa foudre sur toi prête à tomber ! En ma poitrine Dort le courroux Qui pourrait broyer Cet univers Qui m’a souri si longtemps : Qui l’appelle est frappé ! Deuil répond au défi ! N’excite point L’ire du Dieu ! Agis selon mon arrêt : Siegmund tombe ! Tels soient ton œuvre et ta loi. (Il s’éloigne avec impétuosité et disparaît rapidement dans la montagne.) BRUNNHILDE (reste longuement stupéfaite et effrayée) Tel air jamais n’eut le Père, Encor qu’il soit vite irrité ! (Elle se penche tristement et prend ses armes, qu’elle revêt alors de nouveau.) Lourd pèse Le poids des armes : Aux joyeux assauts Jadis si légères ! Mon pas se traîne Au combat cruel ! Las ! mon Wälsung ! En l’extrême angoisse L’amie infidèle te quitte ! |
SCÈNE 3 Elle se dirige vers le fond de la scène, et aperçoit Siegmund et Sieglinde, comme ils apparaissent en montant du ravin ; elle contemple n instant les arrivants, et se dirige ensuite vers la caverne où elle a laissé son cheval, de telle sorte qu’elle disparaisse entièrement aux yeux du spectateur. Siegmund et Sieglinde entrent en scène. Sieglinde marche précipitamment : Siegmund cherche à la retenir. SIEGMUND Reste en ce lieu : Prends du repos ! SIEGLINDE Marche ! Marche ! SIEGMUND (il l’étreint avec une douce énergie) Arrête-toi ! Demeure, femme chérie ! Aux douces ivresses, Pâle soudain, En hâte folle, Prompte, tu fuis ! À peine je suis ta course : Par bois et prés, Par ravins et rocs, Sombre, muette, Toi, tu fuyais, Toujours sourde à ma voix. (Elle regarde devant elle avec des yeux farouches.) Reste en repos : Parle à l’aimé ! Romps ce silence affreux ! Vois, ton frère Tient sa fiancée : Siegmund est tout à toi ! (Il l’a conduite insensiblement jusqu’au piège que forme le rocher.) |
SIEGLINDE (regarde Siegmund dans les yeux avec une extase croissante ; puis elle l’enlace passionnément de ses bras. A la fin elle sursaute de terreur, tandis que Siegmund l’étreint avec force) Va-t-en ! Va-t-en ! Laisse l’indigne ! Vile et profanée Je t’enlace ! Flétrie, infâme, Telle est ma chair : Fuis ce cadavre, Fuis loin de lui ! Qu’aux vents roule ce corps, Qui vil au héros s’est donné ! Quand plein d’amour il me prit, Quand j’eus les suprêmes joies, Quand tout mon cœur fut à lui, Qui tout amour m’a donné, Dans ces douces tendresses, Saintes extases, Comblant mon corps, Mon cœur tout entiers... Peur, épouvante, Horreur de sa honte, Dut terrifier La femme avilie, Jadis à l’homme soumise Qui sans amour l’acheta ! Fuis la maudite, Laisse-la fuir ! Indigne suis-je, D’honneur déchue ! À toi, si noble, Triste, j’échappe ; Je dois pour jamais Ne plus être tienne : Vile au frère je m’offre, Ma honte souille l’ami ! SIEGMUND Qui t’a fait ces affronts, Son sang te les va payer ! Arrête ta fuite ; Reste à l’attendre ; Là, je vais le vaincre : Et Nothung, Lui mordant le cœur. Va venger tous tes affronts ! SIEGLINDE (tressaille d’effroi et prête l’oreille) Entends ! la trompe |
Sonne l’appel ! Long tumulte Enfle et s’accroît ; Des bois, des champs, Montent des cris. Hunding s’éveille Du lourd sommeil ; Hommes et bêtes Viennent en masse : Meute de mort Âpre au meurtre, Jusqu’au ciel elle hurle Les vengeances du maître outragé ! (Elle regarde devant elle puis est brusquement saisie d’épouvante.) Où es-tu, Siegmund ? T’ai-je toujours ? Frère que j’aime, Toi ma lumière ! Que ton œil si clair Soit encor mon étoile : Daigne souffrir Mon baiser d’amour maudit ! Entends ! entends ! C’est le cor de Hunding ! Et sa meute accourt, Terrible à voir. Tout glaive est Impuissant contre eux... Jette-le, Siegmund ! Siegmund... où es-tu ? Ah ! là ! je vois tes traits ! Scène d’horreur ! Dents qui grincent Et veulent ta chair... Qu’importe aux chiens Ton regard si fier ! Par les pieds leurs crocs Meurtriers t’ont saisi, Tu tombes... Le glaive se brise en deux : Le frêne choit, Son bois se rompt ! Frère ! mon frère ! Siegmund... ha ! (Elle s’affaisse avec un cri, défaillante, dans les bras de Siegmund.) SIEGMUND Chère ! aimée ! |
(Il écoute Sieglinde respirer, et ainsi se convainc qu’elle est encore vivante. Il la laisse glisser tout contre lui, de sorte que, lui-même s’étant assis sur le rocher, la tête de Sieglinde se trouve reposer sur ses genoux. Tous deux demeurent dans cette situation jusqu’à la fin de la scène suivante. Long silence, pendant lequel Siegmund se penche avec une tendre sollicitude sur Sieglinde, et dépose sur son front un long baiser.) |
SCÈNE 4 Brünnhilde, conduisant son cheval par la bride, est sortie de la caverne ; elle s’est avancée, lente et solennelle, et s’arrête à présent — latéralement par rapport à Siegmund — à peu de distance de celui-ci. D’une main elle tient la lance et le bouclier ; de l’autre elle s’appuie sur l’encolure du cheval, et, dans un silence grave, elle contemple un moment Siegmund. BRUNNHILDE Siegmund ! — Vois vers moi ! C’est moi, moi, Que tu suivras. SIEGMUND (dirigeant ses regards sur elle) Qui donc es-tu, Qui si belle et grave paraît ? BRUNNHILDE Seuls ceux qui meurent Voient ma face : À qui m’entend, J’annonce le jour obscur. Sur le champ du combat Je vais aux braves : Qui m’aperçoit, La mort l’a désigné. SIEGMUND (la regarde longuement dans les yeux, puis baisse la tête comme pour réfléchir, et enfin se tourne vers elle de nouveau, avec une solennelle gravité) S’il suit tes pas, Où conduis-tu le brave ? BRUNNHILDE Le Maître du Choix T’a choisi, Viens vers lui : Au Walhall suis mes pas. SIEGMUND Le Dieu du Walhall Doit-il seul m’accueillir ? BRUNNHILDE Les forts, les braves, Chœur glorieux, Te vont fêter D’un faste triomphal. SIEGMUND Dois-je trouver là Wälse, mon propre père ? BRUNNHILDE |
Au Walhall Wälse Attend son fils SIEGMUND Dois-je y goûter L’accueil d’une femme ? BRUNNHILDE Vierges Qu’animent ses vœux, Les filles de Wotan Vont te verser l’hydromel. SIEGMUND Noble et sainte S’annonce la fille De Wotan : Pourtant réponds-moi, Déesse ! Doit-on voir au Walhall La sœur, près du frère, Unie à Siegmund Sieglinde aussi ? BRÜNNHILDE L’air terrestre Est pour sa lèvre : Sieglinde Perd Siegmund ici ! SIEGMUND Salue alors Walhall, Salue aussi Wotan, Salue encor Wälse Et tous les braves, Dis mon adieu Aux douces vierges : Vers elles je n’irai pas ! |
BRUNNHILDE Tu vois de la Walküre L’œil meurtrier : Tu dois suivre ses pas ! SIEGMUND Où Sieglinde vit En joie et deuil, Là son Siegmund veut vivre : J’ai vu ton regard Sans épouvante ; En vain tu veux me dompter ! BRUNNHILDE Sur toi vivant Rien n’a pouvoir ; La mort pourtant te contraint : Moi qui l’annonce, J’ai parlé. SIEGMUND De moi quel héros Serait vainqueur ? BRUNNHILDE Hunding doit te frapper. SIEGMUND Menace vaine — Je brave Hunding ! Guettes-tu là L’heure du sang, Mon rival t’appartient : Je sais qu’il mourra sous mes coups ! BRUNNHILDE (secouant la tête) Toi, Wälsung, Écoute-moi bien ! Toi seul ici mourras. SIEGMUND Vois cette épée ! Qui la donna Promit victoire : Ta menace cède à ce fer ! BRUNNHILDE (élevant fortement la voix) Qui la donna Décide ta mort : |
De vertu il prive l’épée ! SIEGMUND (violemment) Tais-toi ! et n’éveille Pas l’endormie ! (Il se penche tendrement sur Sieglinde, avec une explosion de douleur.) Las ! Las ! Douce adorée ! Ô triste entre toutes les femmes ! Contre toi tout L’univers s’est armé : Et moi, à qui seul tu te fies, Qui seul provoquai ta révolte Mon bras ne doit T’aider ni défendre, Je dois te trahir au combat ? Oh ! honte à lui, Qui donna ce fer, Tournant le triomphe en mort ! Mais si je tombe, J’irai loin du Walhall : Hella me prenne à jamais ! BRUNNHILDE (troublée) Estimes-tu si peu L’aime délice ? Tout tient-il En la pauvre femme, Qui, pâle et triste, Gît comme morte en tes bras ? Rien d’autre n’a de prix ? SIEGMUND (la regardant avec amertume) Si jeune et beau Rayonne ton front : Mais combien glacé Et dur est ton cœur ! Ô toi qui railles, Va-t’en loin de moi, Farouche et froide enfant ! Pourtant si ma peine Est ton seul plaisir, Mes maux te peuvent plaire ; Ma douleur peut charmer Ton cœur sans pitié : Mais du froid bonheur du Walhall, |
Cesse de me parler ! BRUNNHILDE Je vois la détresse Qui ronge ton cœur ; Je sens du héros La sainte douleur... Siegmund, remets-moi ton amante ; Mon bras sera son appui ! SIEGMUND Nul autre que moi Ne la doit toucher vivante : S’il faut que je meure, Que ma main l’immole d’abord ! BRUNNHILDE Wälsung ! Insensé ! Suis mon conseil ! Remets-moi ton amante, Au nom du gage D’amour qu’elle porte en son sein ! SIEGMUND (tirant son glaive) Ce fer, Qu’un fidèle a d’un traître reçu, Ce fer, Qui, lâche, trahit mon espoir : S’il n’est terrible au rival, Qu’il serve à la mort de l’ami ! (Agitant l’épée sur la tête de Sieglinde.) Deux êtres Sont devant toi, : Frappe, Nothung, Glaive haineux ! Prends d’un seul coup leurs vies ! BRUNNHILDE (dans la plus violente tempête de compassion) Arrête, Wälsung ! Crois à ma voix ! Sieglinde vive, Et Siegmund vive avec elle ! Mon choix est fait ; Je change l’ordre : Toi, Siegmund, Sors de la lutte vainqueur ! (Du lointain fond de la scène on entend venir des appels de trompe.) Entends cet appel ? Prépare-toi bien ! |
Crois à l’épée, Et frappe sans peur : Sûr brille le fer, Et la Walküre est sûre aussi ! Adieu, Siegmund, Noble héros ! Au combat proche je te retrouve ! (Elle s’éloigne en courant, et disparaît hors de la scène avec son cheval, à droite, dans une gorge latérale. Siegmund la suit d’un regard joyeux et enthousiasmé. La scène s’est obscurcie peu à peu ; de lourdes nuées d’orage descendent vers le fond de la scène, finissent par envelopper complètement les murailles rocheuses, la gorge et l’arête élevée. De tous côtés, on entend venir de lointains appels de trompes, qui se rapprochent graduellement pendant ce qui suit.) |
SCÈNE 5 SIEGMUND (se penchant sur Sieglinde) Charme fort, Un doux sommeil Endort ses maux amers : Quand la Walküre vint vers moi, A-t-elle béni son repos ? L’heure du sombre combat De crainte l’aurait accablée ! Pâle et froide Elle vit pourtant : Ses maux sont bercés D’un songe souriant. (Nouveaux appels de trompes au loin.) Demeure endormie, Jusqu’après la lutte, Quand la paix te va charmer ! (Il la place doucement sur le siège de rochers, l’embrasse au front, et la quitte enfin, ayant entendu de nouveaux appels de trompe.) Qui j’entends là, Vienne à présent ! Car son salaire Est tout prêt : Nothung va le payer ! (Il se hâte vers le fond du théâtre, et disparaît aussitôt sur l’arête de rochers, dans un sombre nuage orageux.) |
SIEGLINDE (rêvant) Oh ! si le père rentrait ! Mon frère est aux bois avec lui. Mère ! Mère ! J’ai grande peur ; Quel air sinistre Ont tous ces hommes ! Noires fumées, Chaudes vapeurs Rouges, des flammes Rampent vers nous, Tout est en feu ! À l’aide, frère ! Siegmund ! Siegmund ! (De violents éclairs et un effroyable coup de tonnerre réveillent Sieglinde ; elle se lève d’un bond.) Siegmund ! — Ha ! (Elle regarde autour d’elle avec une frayeur toujours plus grande ; — presque toute la scène est enveloppée de noires nuées d’orage ; les éclairs et le tonnerre continuent. Les appels de trompe semblent se rapprocher de tous côtés.) |
LA VOIX DE HUNDING au fond de la scène, venant du haut de l’arête rocheuse) Wehwalt ! Wehwalt ! Viens au combat, Sans quoi mes chiens te saisissent ! LA VOIX DE SIEGMUND (de plus loin vers le fond, comme partant du ravin) Te caches-tu, Que je n’ai pu te voir ? Viens, que je t’aborde ! SIEGLINDE (qui les écoule, dans une agitation effrayante) Hunding ! Siegmund !’ Où les atteindre ! HUNDING Ici, suborneur qui m’outrages ! Fricka va te frapper ! SIEGMUND (également invisible, mais parvenu aussi sur l’arête de rochers) Tu crois que je suis sans armes Vil poltron ! Vante ta Fricka, Mais viens toi-même, Sans quoi son aide te trahit ! Car vois : dans le frêne Fort du logis, J’ai pris sans peur cette épée ; À sa lame goûte à présent ! (Un éclair illumine un instant l’arête rocheuse, sur laquelle on distingue maintenant Hunding et Siegmund aux prises.) SIEGLINDE (de toutes ses forces) Arrêtez, barbares ! Ah ! tuez-moi ! (Elle s’élance vers l’arête de rochers ; de la droite, une vive lueur jaillit sur les combattants, et si brusquement l’éblouit qu’elle chancelle comme aveuglée. Dans cette clarté, on voit apparaître Brünnhilde planant au-dessus de Siegmund et le protégeant avec son bouclier.) |
LA VOIX DE BRUNNHILDE Frappe, Siegmund ! Crois à l’épée ! (Au moment où Siegmund porte à Hunding un coup qui doit être mortel, une lueur rouge déchire à gauche le nuage ; Wotan apparaît dans cette lueur, debout au-dessus de Hunding, et opposant la lance au glaive de Siegmund.) LA VOIX DE WOTAN Tout cède à ma lance ! En pièces l’épée : (Brünnhilde, saisie de terreur, a reculé devant Wotan ; le glaive de Siegmund se brise sur la lance divine qui lui a été opposée ; Hunding enfonce son arme dans la poitrine de son ennemi sans défense. Siegmund mort sur le sol — Sieglinde, qui a entendu son râle, s’affaisse elle-même avec un cri, comme morte. En même temps que tombait Siegmund, la lueur s’est éteinte des deux côtés ; d’épaisses ténèbres obscurcissent les nuages jusque vers le devant de la scène ; on y aperçoit néanmoins confusément Brünnhilde, se dirigeant avec une hâte éperdue vers Sieglinde.) BRUNNHILDE En selle ! que je te sauve ! (Elle hisse vivement Sieglinde, auprès d’elle, sur son cheval tout proche de la gorge latérale, et disparaît aussitôt avec elle. Aussitôt les nuages se divisent au milieu de la scène, de façon que l’on distingue nettement Hunding au moment où il retire son arme de la poitrine de Siegmund mort. — Wotan, entouré de nuées, se tient derrière lui sur un rocher ; il est appuyé sur sa lance, et il regarde douloureusement le cadavre de Siegmund.) WOTAN (s’adressant à Hunding) Valet, va ! Va trouver Fricka : Dis que l’épieu divin Vengea tous ses affronts. Va ! - Va ! (Sur un signe méprisant de sa main, Hunding tombe mort. Wotan, avec une soudaine explosion d’effroyable fureur.) Mais Brünnhilde ! Sus à la rebelle ! Terrible Châtiment la poursuit, Et va l’atteindre en sa fuite ! (Il disparaît dans les éclairs et le tonnerre. Le rideau tombe rapidement.) |
libretto by Alfred Ernst |
Contents: Personnages; Acte Premier; Acte Deuxième; Acte Troisième |