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“Tosca” by Giacomo Puccini libretto (French)
Contents: Personnages; Premier Acte; Deuxième Acte; Troisième Acte |
L'appartement de Scarpia à l'étage supérieur du Palais Farnèse. (La table est servie. Par une large baie, on voit la cour du palais. C'est la nuit. Scarpia est à table. De temps en temps il interrompt son repas pour méditer. Il regarde sa montre ; il est mécontent et inquiet.) SCARPIA Tosca est un vrai faucon ! À l'heure qu'il est, mes hommes ont dû trouver leur double proie ! Demain à l'aube on verra Angelotti sur l'échafaud et le beau Mario qui pend, la corde au cou. (Il sonne. Sciarrone entre.) Tosca est-elle au Palais ? SCIARRONE Je viens de dépêcher un chambellan à sa recherche. SCARPIA (indiquant la baie) Ouvre la fenêtre. Il est tard. (On entend un orchestre venant de l'étage inférieur où Maria Carolina, reine de Naples, donne une fête en l'honneur du général Melas.) La Diva n'est pas encore là. Ils jouent des gavottes. (à Sciarrone) Va attendre Tosca dans l'antichambre : |
dis-lui que je l'attends après qu'elle aura chanté... Ou mieux... (Il se lève et griffonne un mot.) Donne-lui ce mot. (Sciarrone sort. Scarpia se remet à table.) Elle viendra, par amour pour Mario ! Par amour pour lui, elle se donnera à moi. Dans un si profond amour, il y a une grande misère. Je goûte davantage les conquêtes difficiles que les consentements résignés. Les soupirs ou les serments donnés par clair de lune ne me touchent pas. Je n'ai aucun goût pour les guitares ou les horoscopes élaborés, ni pour le flirt et les roucoulements de colombes : je poursuis un désir jusqu'au succès, puis je le rejette. Il me faut une nouvelle proie. Dieu a fait divers types de beauté, comme divers types de vin ; et à tous ces présents divins, je veux goûter pleinement ! (Il boit. Sciarrone entre.) SCIARRONE Spoletta est là. SCARPIA Qu'il entre. Il vient à point nommé ! (Spoletta entre. Scarpia le questionne sans lever la tête.) Dis-moi, mon brave, comment a marché la chasse ? |
SPOLETTA (à part) Saint Ignace, assistez-moi ! (à Scarpia) Nous avons suivi la dame jusqu'à une villa isolée cachée au fond des bois. Elle y entra, puis en ressortit, seule. Alors j'ai sauté le mur du jardin avec les chiens et suis entré dans la maison... SCARPIA Bravo, mon bon Spoletta ! SPOLETTA J'ai flairé... j'ai gratté... j'ai fouillé... SCARPIA (voyant l'hésitation de Spoletta, se lève, les sourcils froncés, pâle de rage) Et Angelotti ? SPOLETTA Introuvable ! SCARPIA (furieux) Ah ! Chien ! Traître ! Nid de vipères ! À la potence ! SPOLETTA Jésus ! (cherchant à calmer la colère de Scarpia) |
Le peintre était là... SCARPIA Cavaradossi ? SPOLETTA (faisant signe que oui, enchaîne rapidement) Et il sait où l'autre se cache. Chacun de ses mouvements, son accent, trahissaient une telle fausseté que je l'ai arrêté ! SCARPIA (avec un soupir de satisfaction) C'est déjà cela ! SPOLETTA (indiquant l'antichambre) Il est là. (Scarpia marche de long en large, réfléchissant. Subitement il s'arrête. Par la fenêtre ouverte, on entend la cantate chantée en chœur venant des appartements de la reine.) SCARPIA (à Spoletta) Va chercher le chevalier ! (Spoletta sort. À Sciarrone) Va chercher Roberti et le juge. (Sciarrone sort. Scarpia se rassied. Entrent Spoletta et quatre baillis avec Mario Cavaradossi, puis Roberti, le bourreau, et le juge avec un greffier et Sciarrone.) CAVARADOSSI (dédaigneusement) Quelle violence ! SCARPIA (avec une courtoisie exagérée) Chevalier, prenez la peine de vous asseoir. |
CAVARADOSSI Je veux savoir... SCARPIA (montrant une chaise de l'autre côté de la table) Asseyez-vous. CAVARADOSSI (refusant) Je resterai debout. SCARPIA À votre aise. Savez-vous qu'un prisonnier... (On entend chanter Tosca.) CAVARADOSSI Sa voix ! SCARPIA (qui s'est tu en entendant Tosca) Savez-vous qu'un prisonnier s'est évadé aujourd'hui du château Saint-Ange ? CAVARADOSSI Non, je l'ignorais. SCARPIA Et pourtant on m'a certifié que vous l'avez rencontré à Saint-André, lui donnant de la nourriture, des vêtements... CAVARADOSSI (sans broncher) Ce sont des mensonges. |
SCARPIA (restant calme) ... et vous l'avez conduit dans une maison de banlieue vous appartenant. CAVARADOSSI Je nie tout cela. Où sont vos preuves ? SCARPIA (mielleux) Un serviteur fidèle... CAVARADOSSI Des faits ! Qui m'accuse ? Vos espions ont vainement fouillé ma villa. SCARPIA Preuve qu'il est bien caché ! CAVARADOSSI Suppositions d'espion ! SPOLETTA (offusqué) Il a ri de nos questions... CAVARADOSSI Et j'en ris encore... SCARPIA (sévèrement) Attention ! Ici on pleure ! En voilà assez ! Réponds ! (Il se lève, furieux, et ferme la fenêtre pour ne plus entendre la musique. Se tournant résolument vers Cavaradossi.) |
Où est Angelotti ? CAVARADOSSI Je ne sais pas. SCARPIA Tu nies l'avoir nourri ? CAVARADOSSI Je le nie ! SCARPIA Et vêtu ? CAVARADOSSI Je le nie ! SCARPIA Et lui avoir donné asile à la villa ? Et qu'il y est caché ? CAVARADOSSI (avec véhémence) Je le nie ! Je le nie ! SCARPIA (habilement, retrouvant son calme) Allons, Chevalier, réfléchissez votre entêtement est maladroit. Des aveux rapides vous éviteront bien des tortures. Croyez-moi, avouez. Où est Angelotti ? CAVARADOSSI Je ne sais pas ! |
SCARPIA Attention ! Pour la dernière fois, où est-il ? CAVARADOSSI Je ne sais pas ! SPOLETTA (à part) Il mériterait la corde. (Tosca entre, essoufflée.) SCARPIA (à part) La voici ! TOSCA (apercevant Cavaradossi, se précipite pour l'embrasser) Mario, toi, ici ! CAVARADOSSI (à voix basse) Ne dis rien de ce que tu as vu. Tu me tuerais ! (Tosca indique qu'elle a compris.) SCARPIA (solennel) Mario Cavaradossi, le juge attend vos révélations. (à Roberti) Les formalités habituelles d'abord. Et puis... Je vous le dirai. (Sciarrone ouvre la porte de la chambre des tortures. Le juge sort, suivi des autres. Spoletta se place devant la porte au fond de la pièce. Tosca et Scarpia demeurent seuls.) SCARPIA Nous allons parler comme de bons amis. |
Allons, n'ayez pas si peur. TOSCA (avec un calme voulu) Je ne crains rien. SCARPIA Cette histoire d'éventail ? (Il se met derrière le divan sur lequel Tosca est assise et s'y appuie, parlant avec une grande courtoisie.) TOSCA (avec une indifférence simulée) Une jalousie stupide ! SCARPIA L'Attavanti n'était donc pas à la villa ? TOSCA Non, il était seul. SCARPIA Seul ? En êtes-vous certaine ? TOSCA Rien n'échappe à une femme jalouse. Il était seul. SCARPIA (prend une chaise et la place en face de Tosca. Il s'assied et la dévisage.) Vraiment ! TOSCA (irritée) Seul ! Oui ! |
SCARPIA Comme vous dites cela ! On dirait que vous craignez de trahir quelque secret. (à Sciarrone) Sciarrone, que dit le Chevalier ? SCIARRONE (paraissant) Il nie. SCARPIA (haussant le ton et se tournant vers la porte ouverte) Insistez ! (Sciarrone sort et ferme la porte.) TOSCA (souriant) Oh ! c'est inutile ! SCARPIA (gravement, faisant les cent pas) Nous verrons, Madame ! TOSCA Pour vous plaire, faut-il donc mentir ? SCARPIA Non, mais la vérité pourrait abréger un moment très pénible pour lui... TOSCA (surprise) Un moment pénible ? Que voulez-vous dire ? Que se passe-t-il derrière cette porte ? |
Il faut faire respecter la loi. TOSCA Oh ! Dieu ! Que se passe-t-il ? Que se passe-t-il ? SCARPIA Pieds et poings liés, votre amant a un anneau de fer sur son front et le sang gicle à chaque dénégation. TOSCA (se levant d'un bond) C'est faux ! C'est faux ! Horrible démon ! (On entend un gémissement prolongé poussé par Cavaradossi.) Il gémit ! Pitié ! Pitié ! SCARPIA Il ne tient qu'à vous de le sauver ! TOSCA J'accepte. Mais cessez de le torturer ! SCARPIA (appelant) Sciarrone, arrête ! SCIARRONE (paraissant) Tout ? SCARPIA Tout. (Sciarrone regagne la chambre des tortures et referme la porte.) Et maintenant - la vérité ! |
TOSCA Je veux le voir ! SCARPIA Non ! TOSCA (parvient à approcher de la porte) Mario ! LA VOIX DE CAVARADOSSI Tosca ! TOSCA Te torturent-ils encore ?... CAVARADOSSI Non, courage ! La torture ne me fait pas peur. SCARPIA Allons, Tosca, parlez ! TOSCA (fortifiée par les paroles de Cavaradossi) Je ne sais rien ! SCARPIA Cela ne vous suffit pas ? Roberti, continuez... TOSCA (se plaçant entre Scarpia et la porte) Non ! Assez ! |
SCARPIA Parlez ! TOSCA Non, non ! Monstre ! Vous le tuez ! SCARPIA C'est votre silence qui le tuera ! TOSCA Monstre, vous riez devant ces horribles tortures ! SCARPIA (ironique) Tosca n'a jamais été aussi tragique sur scène ! (à Spoletta) Ouvre la porte, qu'elle l'entende gémir ! (Spoletta ouvre la porte et reste sur le seuil.) LA VOIX DE CAVARADOSSI Je vous défie. SCARPIA Plus fort ! Plus fort ! LA VOIX DE CAVARADOSSI Je vous défie tous ! SCARPIA (à Tosca) Parlez ! |
TOSCA Que puis-je dire ? SCARPIA Allons, parlez... TOSCA Je ne sais rien ! Faut-il mentir ? SCARPIA Où est Angelotti ? TOSCA Non ! Non ! SCARPIA Allons, parlez ! Où se cache-t-il ? TOSCA Je n'en puis plus ! Quelle horreur ! Cessez ce martyre !... C'est plus que je ne puis supporter... Je n'en puis plus... plus ! LA VOIX DE CAVARADOSSI Ah ! TOSCA (se tourne suppliante vers Scarpia qui fait signe à Spoletta de la laisser approcher. Elle va vers la porte ouverte, vaincue par la scène qu'elle voit. Elle s'adresse à Cavaradossi d'une voix angoissée.) |
Mario, permets moi de parler ! LA VOIX DE CAVARADOSSI Non ! TOSCA (plaidant) Écoute-moi, je n'en puis plus... LA VOIX DE CAVARADOSSI Imbécile ! Que sais-tu et que peux-tu dire ? SCARPIA (furieux, hurle à Spoletta) Fais-le taire ! (Spoletta entre dans la chambre des tortures, reparaissant bientôt. Tosca, vaincue par l'émotion, s'est effondrée sur le divan en sanglotant. Elle se tourne vers Scarpia. Il reste silencieux, impassible tandis que Spoletta murmure une prière : Judex ergo cum sedebit quidquid latet apparebit nil inultum remanebit.) TOSCA Que vous ai-je fait ? : C'est moi que vous torturez. Vous torturez mon âme... (Elle éclate en sanglots.) Oui, vous torturez mon âme ! |
SPOLETTA (continuant à prier) Nil inultum remanebit ! (Scarpia profitant du moment de faiblesse de Tosca s'approche de la chambre des tortures et fait signe de continuer. On entend un cri déchirant.) TOSCA Dans le puits, dans le jardin... SCARPIA Angelotti est là ? TOSCA Oui. SCARPIA (très fort dans la direction de la chambre des tortures) Roberti, arrête. SCIARRONE (ouvrant la porte) Il s'est évanoui ! TOSCA (à Scarpia) Assassin ! Je veux le voir ! SCARPIA Amenez-le ici ! (Sciarrone reparaît suivi de deux gardes amenant Cavaradossi à demi évanoui. On le met sur le divan. Tosca court à lui mais en voyant son amant couvert de sang, elle porte ses mains à son visage |
pour effacer la vision. Puis, honteuse de sa faiblesse, elle s'agenouille devant Cavaradossi et l'embrasse en pleurant. Sciarrone, Roberti, le juge et le greffier sortent au fond. Sur un signe de Scarpia, Spoletta et les gardes restent.) CAVARADOSSI (revenant à lui) Floria ! TOSCA (l'embrassant) Mon amour ! CAVARADOSSI Est-ce toi ? TOSCA Comme tu as souffert, corps et âme ! Mais ce horrible espion va payer ! CAVARADOSSI Tosca, as-tu parlé ? TOSCA Non, mon amour... CAVARADOSSI Bien vrai ? TOSCA Non ! |
SCARPIA (haut à Spoletta) Dans le puits, au fond du jardin. Va, Spoletta. (Spoletta sort. Cavaradossi a entendu. Il se met brusquement debout menaçant Tosca. Mais ses forces le trahissent et il s'écroule sur le divan en reprochant avec amertume ses paroles à Tosca.) CAVARADOSSI Ah ! Tu m'as trahi ! TOSCA (suppliant) Mario ! CAVARADOSSI (la repoussant) Sois maudite ! TOSCA (suppliant) Mario ! SCIARRONE (entre brusquement, très agité) Une mauvaise nouvelle, Excellence. SCARPIA (surpris) Que veut dire cet air affligé ? SCIARRONE L'annonce de la défaite ! SCARPIA Quelle défaite ?... Où ?... Comment ? |
SCIARRONE À Marengo ! SCARPIA (impatient) Crétin ! SCIARRONE Bonaparte est victorieux. SCARPIA Et Melas ? SCIARRONE Il est en fuite ! (Cavaradossi écoute avec une anxiété grandissante les paroles de Sciarrone ; il trouve dans sa joie la force de se lever et de menacer Scarpia.) CAVARADOSSI Victoire ! Victoire ! L'aube de la vengeance se lève pour écraser les méchants ! La liberté revient, les tyrans tremblent. TOSCA (tentant désespérément de le calmer) Mario, calme-toi ! Aie pitié de moi ! CAVARADOSSI Maintenant je me réjouis dans ma souffrance... Et ton cœur tressaille, |
bourreau, Scarpia ! (Tosca tente de calmer Cavaradossi par des mots sans suite, tandis que Scarpia répond avec un sourire sarcastique.) SCARPIA Allons, menace ! Hurle ! Déverse le fond de ton âme flétrie ! Va, tu vas mourir, le peloton t'attend ! (hurle aux gardes) Emmenez-le ! (Sciarrone et ses hommes s'emparent de Cavaradossi et l'entraînent vers la porte. Tosca tente vainement de le retenir, mais les hommes la repoussent brusquement.) TOSCA Mario, pas sans moi... SCARPIA Pas vous ! (La porte se referme. Scarpia reste seul avec Tosca.) TOSCA (dans un gémissement) Sauvez-le. SCARPIA Moi ? Plutôt vous ! (Il s'approche de la table, voit son souper inachevé, et, très calme maintenant, il sourit.) |
Mon pauvre souper a été interrompu. (Il voit Tosca abattue, immobile, toujours près de la porte.) Vous êtes lasse ! Venez, belle dame, asseyez-vous là ; nous chercherons ensemble le moyen de le sauver. (Tosca secoue la tête et le regarde. Scarpia, toujours souriant, s'assied et l'invite à en faire autant.) Allons, asseyez-vous et parlons. Un doigt de vin. Il vient d'Espagne. (Il emplit un verre qu'il lui tend.) Une gorgée pour vous remettre. TOSCA (Les yeux fixés sur Scarpia, elle s'approche de la table. Elle s'assied résolument en face de lui, puis d'un ton de profond mépris, elle demande :) Combien ? SCARPIA (imperturbable, se versant à boire) Combien ? (Il éclate de rire.) TOSCA Votre prix ! SCARPIA Oui, on dit que je suis vénal et pourtant ce n'est pas pour de l'argent que je me vends aux belles femmes. Je cherche une autre récompense si je dois trahir ma foi. |
J'ai attendu cette heure. L'amour de la Diva me consumait déjà. Mais voici que je vous vois ce soir dans un rôle tout nouveau. Vos larmes étaient du feu qui coulait dans mes veines et vos yeux, qui me crient votre haine, augmentent mon désir ! Gracieuse comme un léopard, vous vous accrochiez à votre amant. C'est à ce moment-là que j'ai juré que vous seriez à moi ! À moi ! Oui, vous serez à moi ! (Il se lève et tend les bras vers Tosca. Elle a écouté, immobile, sa déclaration. Maintenant elle se lève et cherche refuge derrière le divan.) TOSCA (courant vers la fenêtre) Ah ! Je sauterai avant ! SCARPIA (froidement) J'ai Mario comme otage ! TOSCA Misérable !... Quel horrible marché ! (Elle songe tout d'un coup à demander le secours de la reine et court vers la porte.) SCARPIA (ironique) Je ne vous retiens pas. Vous êtes libre. Mais votre espoir est vain. La reine |
ne libérerait qu'un cadavre ! (Tosca recule effrayée, dévisageant Scarpia. Elle se laisse tomber sur le divan, puis détourne son regard avec un geste de dégoût.) Comme vous me haïssez ! TOSCA Ah ! Dieu ! SCARPIA (s'approchant) C'est ainsi, c'est ainsi que je vous veux. TOSCA (en frissonnant) Ne me touchez pas, monstre ! Je vous hais ! Vous êtes immonde ! (Elle lui échappe, horrifiée.) SCARPIA Qu'importe ! Les spasmes de la colère ou les spasmes de la passion... TOSCA Misérable ! SCARPIA Vous serez à moi ! (Il tente de la saisir.) TOSCA Scélérat ! (Elle se réfugie derrière la table.) SCARPIA (la poursuivant) À moi ! |
TOSCA Au secours ! Au secours ! (On entend au loin un roulement de tambour qui se rapproche puis s'éteint.) SCARPIA Vous avez entendu ? Ce sont les tambours, la dernière escorte du condamné. Le temps presse ! (Tosca écoute dans l'angoisse ; elle s'éloigne de la fenêtre et s'appuie au divan.) Savez-vous la sombre mission qui se prépare ? Le peloton s'avance. À cause de vous. Mario, votre Mario, n'a plus qu'une heure à vivre. (Il s'appuie sur un coin du divan et ne quitte pas Tosca du regard.) TOSCA J'ai vécu pour l'art. J'ai vécu pour l'amour, sans faire de mal à âme qui vive ! Furtivement j'ai tenté d'alléger les souffrances que j'ai rencontrées. Mes prières montaient d'un cœur sincère vers le saint Tabernacle. Toujours d'un cœur sincère j'ornais de guirlandes les autels. Dans mon heure d'affliction, pourquoi, pourquoi, ô Seigneur, pourquoi me récompenser ainsi ? J'ai donné mes bijoux pour la cape de la Madone, |
j'ai donné mes chants aux étoiles pour embellir les cieux. Dans mon heure d'affliction, pourquoi, pourquoi, ô Seigneur, pourquoi me récompenser ainsi ? (Elle s'agenouille devant Scarpia.) TOSCA Regardez-moi. Les mains tendues, je vous implore ! Humiliée, vaincue, j'attends votre aide... SCARPIA Tosca, vous êtes trop belle, trop amoureuse. Je cède. Pour un bien faible prix. Vous demandez une vie. Je demande un instant ! TOSCA (se levant, désespérée) Allez, allez ! Vous me faites frémir ! (On frappe à la porte.) SCARPIA Qui est là ? SPOLETTA (entre, hors d'haleine) Excellence, Angelotti s'est tué à notre arrivée. SCARPIA C'est bon. Alors pendez son cadavre à la potence. Et l'autre prisonnier ? |
SPOLETTA Le chevalier Cavaradossi ? Tout est prêt, Excellence. TOSCA (à part) Dieu ! Ayez pitié de moi ! SCARPIA (à Spoletta) Attends ! (à Tosca) Eh bien ? (Tosca consent d'un signe. Elle pleure de honte, cachant son visage. À Spoletta) Écoute... TOSCA (interrompant) Je veux qu'il soit libéré sur le champ... SCARPIA (à Tosca) Il faut être prudent. Je ne puis le libérer ouvertement. On doit croire que le Chevalier est mort. (montrant Spoletta) Cet homme est sûr. Il veillera à tout. TOSCA Quelle preuve ai-je ? SCARPIA L'ordre que je lui donne devant vous. (à Spoletta) |
Spoletta, ferme la porte. (Spoletta ferme la porte et revient vers Scarpia.) J'ai changé d'avis. Le prisonnier sera fusillé... (Tosca tressaillit d'horreur.) Attendez... (Il fixe Spoletta du regard. Spoletta incline la tête pour indiquer qu'il a compris.) Comme pour le comte Palmieri. SPOLETTA Une exécution... SCARPIA (scandant bien les mots) ... simulée, comme pour Palmieri. Tu as compris ? SPOLETTA J'ai compris. SCARPIA Va ! TOSCA Je voudrais le lui apprendre moi-même. SCARPIA Comme il vous plaira. (à Spoletta) Donnez-lui un sauf-conduit... Attention, à quatre heures. |
SPOLETTA Oui. Comme pour Palmieri. (Spoletta sort. Scarpia, près de la porte, écoute un moment puis changeant d'attitude, il s'approche de Tosca, très amoureusement.) SCARPIA Je tiens mes promesses. TOSCA (le repoussant) Pas encore. Je veux un sauf-conduit pour passer la frontière avec lui. SCARPIA (galant) Vous voulez nous quitter ? TOSCA Oui, pour toujours. SCARPIA Comme il vous plaira. (Il va à sa table de travail, commence à écrire, puis s'arrête pour demander :) Quelle route prendrez-vous ? TOSCA La plus courte. SCARPIA Civitavecchia ? |
TOSCA Oui. (Tandis que Scarpia écrit, Tosca s'approche de la table et prend un verre de vin dans ses mains tremblantes. Au moment de boire, elle aperçoit un poignard sur la table. Elle s'assure que Scarpia écrit toujours et, avec infiniment de précautions, elle prend le poignard tout en répondant à ses questions. Enfin Tosca s'empare du poignard et le dissimule derrière son dos, surveillant toujours Scarpia. Il a maintenant rédigé le sauf-conduit. Il appose son cachet et plie le papier. Puis, tendant les bras, il s'approche de Tosca pour l'enlacer.) SCARPIA Et maintenant, Tosca, vous êtes mienne, enfin. (Mais ses accents amoureux s'achèvent dans un cri de douleur. Tosca l'a frappé en pleine poitrine.) Malédiction !... TOSCA C'est là le baiser de Tosca ! (Scarpia tend les bras vers Tosca, vacille, cherchant un soutien. Tosca l'évite, mais elle se trouve entre lui et la table. Craignant qu'il ne la touche, elle le repousse violemment, horrifiée. Scarpia s'écroule sur le sol, son cri assourdi par le sang qui lui monte à la gorge.) SCARPIA Au secours ! Je meurs ! Au secours ! |
TOSCA (regardant Scarpia qui lutte désespérément, s'accrochant au divan pour tenter de se mettre debout) Le sang vous étouffe ? Une femme vous a frappé ! M'avez-vous assez torturée ? M'entendez-vous encore ? Parlez ! Regardez-moi. Je suis Tosca. Scarpia ! SCARPIA (après un dernier effort, s'écroule) Au secours ! Au secours ! TOSCA (penchée sur lui) Le sang vous étouffe ? Meurs, maudit ! Meurs ! Meurs ! Meurs ! (le voyant immobile) Il est mort. Maintenant je lui pardonne ! Tout Rome tremblait devant lui ! (Sans quitter le cadavre des yeux, Tosca s'approche de la table, dépose le poignard, prend une bouteille d'eau, humecte une serviette et s'essuie les doigts. Puis elle s'approche du miroir pour remettre de l'ordre dans sa coiffure. Elle jette un regard sur le bureau cherchant le sauf-conduit - qu'elle ne trouve pas. Elle se retourne et l'aperçoit dans la main crispée du mort ; tremblante, elle le lui arrache et le cache sur sa poitrine. Elle éteint les lumières sur la table et se dispose à sortir. Mais elle s'arrête, prend une bougie sur le bureau pour en allumer une autre, et les met sur le sol de chaque côté du cadavre. Elle regarde autour d'elle et voit un crucifix pendu au mur. Elle le décroche |
respectueusement et le place sur la poitrine de Scarpia. Enfin elle se lève, et sort, fermant doucement la porte derrière elle.) |
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