LE DOCTEUR FAUST (ténor) MARGUERITE (soprano) MÉPHISTOPHÉLÈS (basse) VALENTIN (baryton) WAGNER (baryton) SIEBEL (soprano) MARTHE SCHWERLEIN (mezzo-soprano) CHŒUR: Étudiants, soldats, bourgeois, sorcières etc. L'histoire se déroule au XVIe siècle en Allemagne. N° 1 - Introduction SCÈNE PREMIÈRE Le cabinet de Faust. Faust seul. Il fait nuit. – Faust est assis devant une table chargée de parchemins. La lampe est près de s'èteindre. Un livre est ouvert devant lui. N° 2 - Scène et Chœur FAUST Rien! En vain j'interroge, en mon ardente veille, La nature et le Créateur; Pas une voix ne glisse à mon oreille Un mot consolateur! J'ai langui, triste et solitaire, Sans pouvoir briser le lien Oui m'attache encore à la terre! Je ne vois rien! Je ne sais rien! Il ferme le livre et se lève. Le jour commence à poindre. Faust va ouvrir sa croisée. Le ciel pâlit! – Devant l'aube nouvelle La sombre nuit S'évanouit! Avec désespoir Encore un jour! – encore un jour qui luit! O mort, quand viendras-tu m'abriter sous ton aile? Eh bien! puisque la mort me fuit, Pourquoi n'allé-je pas vers elle? Il saisit une fiole sur la table. Salut! ô mon dernier, matin! J'arrive sans terreur au terme du voyage; Et je suis, avec ce breuvage, Le seul maître de mon destin! Il verse le contenu de la fiole dans une coupe en cristal. Au moment où il va porter la coupe à ses lèvres, des voix des jeunes filles se font entendre au dehors. CHŒUR Ah! Paresseuse fille Qui sommeille encor! Déjà le jour brille Sous son manteau d'or; Déjà l'oiseau chante Ses folles chansons; L'aube carressante Sourit aux moissons; Le ruisseau murmure, La fleur s'ouvre au jour, Toute la nature S'éveille à l'amour. FAUST Vains échos de la joie humaine, Passez, passez votre chemin! ... O coupe des aïeux, qui tant de fois fus pleine, Pourquoi trembles-tu dans ma main? Il porte de nouveau la coupe à ses lèvres. CHŒUR DES LABOUREURS derrière la scène Aux champs l'aurore nous rapelle! On voit à peine l'hirondelle, Oui vole et plonge d'un coup d'aile Dans la profondeur du ciel bleu! Le temps est beau! La terre est belle! Aux champs l'aurore nous rapelle! Beni soit Dieu! FAUST Dieu. Il se laisse retomber dans son fauteuil. N° 3 - Récitatif FAUST Mais ce Dieu, que peut-il pour moi? Me rendra-t-il l'amour, la jeunesse et la foi? Avec rage. Maudites soyez vous, ô voluptés humaines! Maudites soient les chaînes Oui me font ramper ici-bas! Maudit soit tout ce qui nous leurre, Vain espoir qui passe avec l'heure, Rêves d'amour ou de combats! Maudit soit le bonheur, maudites la science, La prière et la foit! Maudite sois-tu, patience! A moi, Satan! à moi! Méphistophélès apparaissant. SCÈNE II Faust et Méphistophélès N° 4 - Duo MÉPHISTOPHÉLÈS Me voici! – D'où vient ta surprise? Ne suis-je pas mis à ta guise? L'épée au côté, la plume au chapeau, L'escarcelle pleine, un riche manteau Sur l'épaule; – en somme Un vrai gentilhomme! Eh bien! que me veux-tu, docteur! Parle, voyons! ... – Te fais-je peur? FAUST Non! MÉPHISTOPHÉLÈS Doutes-tu de ma puissance? FAUST Peut-être! MÉPHISTOPHÉLÈS Mets-la donc à l'épreuve! FAUST Va-t'en! MÉPHISTOPHÉLÈS Fi! c'est là ta reconnaissance! Apprends de moi qu'avec Satan L'on en doit user d'autre sorte, Et qu'il n'était pas besoin De l'appeler de si loin Pour le mettre ensuite à la porte! FAUST Et que peux-tu pour moi? MÉPHISTOPHÉLÈS Tout ... Mais dis-moi d'abord Ce que tu veux; – est-ce de l'or? FAUST Que ferai-je de la richesse? MÉPHISTOPHÉLÈS Bon, je vois où le bât te blesse! Tu veux la gloire? FAUST Plus encor! MÉPHISTOPHÉLÈS La puissance? FAUST Non! Je veux un trésor Qui les contient tous! ... Je veux la jeunesse! ... A moi les plaisirs, Les jeunes maîtresses! A moi leurs caresses! A moi leurs désirs! A moi l'énergie Des instincts puissants, Et la folle orgie Du cœur et des sens! Ardente jeunesse, A moi les désirs, A moi ton ivresse, A moi les plaisirs! MÉPHISTOPHÉLÈS Fort bien! Je puis contenter ton caprice. FAUST Et que te donnerai-je en retour? MÉPHISTOPHÉLÈS Presque rien! Ici, je suis à ton service, Mais là-bas, tu seras au mien! FAUST Là-bas? ... MÉPHISTOPHÉLÈS Là-bas .... Lui présentant un parchemin Allons, signe! – Eh quoi! ta main tremble! Que faut-il pour te décider? La jeunesse t'appelle; ose la regarder! Apparition de Marguerite au Rouet FAUST O merveille! MÉPHISTOPHÉLÈS Eh bien! que t'en semble? FAUST Donne! ... MÉPHISTOPHÉLÈS Allons donc! ... Prenant la coupe restée sur la table Et maintenant, Maître, c'est moi qui te convie A vider cette coupe où fume en bouillonnant Non plus la mort, non plus le poison; mais la vie! FAUST prenant la coupe A toi, à toi, à toi, Fantôme adorable et charmant! Il vide la coupe et se trouve métamorphosé en jeune et élégant seigneur. La vision disparait. MÉPHISTOPHÉLÈS Viens! FAUST Je la reverrai? MÉPHISTOPHÉLÈS Sans doute. FAUST Quand? MÉPHISTOPHÉLÈS Aujourd'hui. FAUST C'est bien! MÉPHISTOPHÉLÈS En route! Une des portes de la ville. A gauche, un cabaret à l'enseigne du Dieu Bacchus. SCÈNE PREMIÈRE Wagner, jeunes filles, matrones, bourgeois, étudiants, soldats N° 5 - Chœur. Une Kermesse ETUDIANTS dans la taverne Vin ou bière, Bière ou vin, Que mon verre Soit plein! Sans vergogne, Coup sur coup, Un ivrogne Boit tout! WAGNER Jeune adepte Du tonneau, N'en excepte Que l'eau! Que ta gloire, Tes amours, Soient de boire Toujours! ÉTUDIANTS. Jeune adepte Du tonneau etc. Ils trinquent et boivent SOLDATS Filles ou forteresses, C'est tout un, morbleu! Vieux burgs, jeunes maîtresses Sont pour nous un jeu! Celui qui sait s'y prendre Sans trop de façon, Les oblige à se rendre En payant rançon! BOURGEOIS Aux jours de dimanche et de fête, J'aime à parler guerre et combats: Tandis que les peuples là-bas Se cassent la tête. Je vais m'asseoir sur les coteaux Qui sont voisins de la rivière, Et je vois passer les bateaux En vidant mon verre ! Bourgeois et soldats remontent vers le fond du théâtre JEUNES FILLES Voyez ces hardis compères Qui viennent là-bas; Ne soyons pas trop sévères, Retardons le pas. Elles gagnent la droite du théâtre JEUNES ÉTUDIANTS Voyez ces mines gaillardes Et ces airs vainqueurs! Amis, soyons sur nos gardes, Tenons bien nos cœurs! MATRONES observant les étudiants et les jeunes filles Voyez après ces donzelles Courir ces messieurs! Nous sommes aussi bien qu'elles, Sinon beaucoup mieux! Tous les groupes redescendent en scène. SCÈNE II Valentin, Wagner, Siebel, Étudiants N° 6 - Scène et Récitatif VALENTIN paraissant, il tient une petite médaille d'argent à la main O sainte médaille, Qui me viens de ma sœur, Au jour de la bataille, Pour écarter la mort, Reste là sur mon cœur! Il passe la médaille à son cou et se dirige vers le cabaret WAGNER Ah! voici Valentin qui nous cherche sans doute! VALENTIN Un dernier coup, messieurs, et mettons-nous en route! WAGNER Qu'as-tu donc? Quels regrets attristent nos adieux? VALENTIN Comme vous, pour longtemps, je vais quitter ces lieux; J'y laisse Marguerite, et, pour veiller sur elle, Ma mère n'est plus là! SIEBEL Plus d'un ami fidèle Saura te remplacer à ses côtés! VALENTIN Merci! SIEBEL Sur moi tu peux compter! CHŒUR Compte sur nous aussi! Invocation Supplément de Gounod VALENTIN Avant de quitter ces lieux, Sol natal de mes aïeux A toi, seigneur et Roi des cieux Ma sœur je confie, Daigne de tout danger Toujours, toujours la protéger Cette sœur si cherie! Délivré d'une triste pensée J'irai chercher la gloire, la gloire au seins des ennemis, Le premier, le plus brave au fort de la mêlée, J'irai combattre pour mon pays. Et si vers lui, Dieu me rappelle, Je veillerai sur toi fidèle, O Marguerite! Avant de quitter ces lieux, Sol natal de mes aïeux, A toi, seigneur et Roi des cieux, Ma sœur je confie! O Roi des cieux, jette les yeux, Protège Marguerite, Roi des cieux! WAGNER Allons, amis! point de vaines alarmes! A ce bon vin ne melons pas de larmes! Buvons, trinquons, et qu'un joyeux refrain Nous mette en train! CHŒUR Buvons, trinquons, et qu'un joyeux refrain Nous mette en train! WAGNER Un rat plus poltron que brave, Et plus laid que beau, Logeait au fond d'une cave, Sous un vieux tonneau, Un chat ... SCÈNE III Les mêmes, Méphistophélès MÉPHISTOPHÉLÈS Pardon! WAGNER Hein! ... MÉPHISTOPHÉLÈS Parmi vous, de grâce, Permettez-moi de prendre place! Que votre ami d'abord achève sa chanson! Moi, je vous en promets plusieurs de ma façon. WAGNER Une seule suffit, pourvu quelle soit bonne! MÉPHISTOPHÉLÈS Je ferai de mon mieux – Pour n'ennuyer personne! N° 7 - Ronde du veau d'or MÉPHISTOPHÉLÈS Le veau d'or est toujours debout! On encense Sa puissance, D'un bout du monde à l'autre bout! Pour fêter l'infâme idole Roi et peuples confondus, Au bruit sombre des écus, Dansent une ronde folle Autour de son piédestal!… Et Satan conduit le bal! CHŒUR Et Satan conduit le bal! MÉPHISTOPHÉLÈS Le veau d'or est vainquer des dieux! Dans sa gloire Dérisoire Le monstre abjecte insulte aux cieux Il contemple, ô rage étrange! A ses pieds le genre humain Se ruant, le fer en main, Dans le sang et dans la fange Où brille l'ardent métal! Et Satan conduit le bal! CHŒUR Et Satan conduit le bal! N° 8 - Récitatif et Choral des Epées CHŒUR Merci de ta chanson. VALENTIN Singulier personnage! WAGNER Nous ferez-vous l'honneur de trinquer avec nous? MÉPHISTOPHÉLÈS prenant son verre Volontiers! … saisissant la main de Wagner Ah, voici qui m'attriste pour vous! Vous voyez cette ligne? WAGNER Eh bien? MÉPHISTOPHÉLÈS Fâcheux présage! Vous vous ferez tuer en montant à l'assaut! SIEBEL Vous êtes donc sorcier? MÉPHISTOPHÉLÈS prenant la main de Siebel Tout juste autant qu'il faut Pour lire dans ta main Que le ciel te condamne A ne plus toucher une fleur Sans qu'elle se fane! SIEBEL Moi? MÉPHISTOPHÉLÈS Plus de bouquets à Marguerite! VALENTIN Ma sœur! ... Qui vous a dit son nom? MÉPHISTOPHÉLÈS Prenez garde, mon brave! Vous vous ferez tuer par quelqu'un que je sais! Il arrache le verre des mains de Wagner A votre santé! Peuh! que ton vin est mauvais! … Permettez-moi de vous en offrir de ma cave. Il monte sur le banc et trappe sur un petit tonneau surmonté d'un Bacchus qui sert d'enseigne au cabaret. Holà! Seigneur Bacchus! A boire! ... Approchez-vous! Chacun sera servi selon ses goûts! A la santé que tout à l'heure Vous portiez, mes amis, à Marguerite! VALENTIN il arrache le verre des mains de Méphistophélès et enjette le contenu qui s'enflamme en tombant à terre. Assez! Si je ne te fais taire à l'instant, Que je meure! WAGNER ET LE CHŒUR Holà!… Valentin, Siebel et les étudiants tirent les épées contre Méphistophélès. MÉPHISTOPHÉLÈS riant Pourquoi trembler, vous qui me menacez? Il trace un cercle autour de lui avec son épée. VALENTIN Mon fer, ô surprise! Dans les airs se brise! Tous s'élancent sur Méphistophélès s'arrêtent comme devant une barrière invisible. L'épée de Valentin se brise. SIEBEL, VALENTIN, WAGNER, CHŒUR De l'enfer qui vient émousser Nos armes Nous ne pouvons pas repousser Les charmes! Tous prennent leurs épées par la lame et le present sous forme de croix à Méphistophélès. VALENTIN Mais puisque tu brises le fer, Regarde! ... C'est une croix qui, de l'enfer, Nous garde! SCÈNE IV Méphistophélès, Faust MÉPHISTOPHÉLÈS remettant son épée au fourneau Nous nous retrouverons, mes amis! – Serviteur! FAUST entrant Qu'as-tu donc? MÉPHISTOPHÉLÈS Rien! – A nous deux, cher Docteur, Qu'attendez-vous de moi? Par où commencerai-je? FAUST Où se cache la belle enfant Que ton art m'a fait voir? – Est-ce un vain sortilège? MÉPHISTOPHÉLÈS Non pas, mais contre nous sa vertu la protège; Et le ciel même la dèfend. FAUST Qu'importe? Je le veux! Viens! Conduit-moi vers elle! Ou je me sépare de toi. MÉPHISTOPHÉLÈS Il suffit! ... je tiens trop à mon nouvel emploi Pour vous laisser douter un instant de mon zèle! Attendons! ... Ici même, à ce signal joyeux, La belle et chaste enfant va paraître à vos yeux! SCÈNE V Les mêmes, jeunes filles, matrones, étudiants, bourgeois, puis Siebel et Marguerite N° 9 - Valse et Chœur Étudiants et jeunes filles commencent à danser. Les bourgeois suivent. CHŒUR Ainsi que la brise légère Soulève en épais tourbillons La poussière Des sillons, Que la valse nous entraîne! Faites retentir la plaine De l'éclat de vos chansons! MÉPHISTOPHÉLÈS à Faust Vois ces filles Gentilles! Ne veux-tu pas Aux plus belles D'entre elles Offrir ton bras? FAUST Non, fais trêve A ce ton moqueur! Et laisse mon cœur A son rêve! ... SIEBEL C'est par ici que doit passer Marguerite! QUELQUES JEUNES FILLES s'approchant de Siebel Faut-il qu'une fille à danser vous invite? SIEBEL Non! ... non! ... je ne veux pas valser! ... CHŒUR Ainsi que la brise légère Soulève en épais tourbillons La poussière Des sillons, Que la valse vous entraîne! Faites retentir la plaine De l'éclat de vos chansons! Marguerite parait. FAUST La voici! ... C'est elle! ... MÉPHISTOPHÉLÈS Eh bien, aborde-la! SIEBEL faisant un pas vers Marguerite Marguerite! ... MÉPHISTOPHÉLÈS se mettant devant Siebel et lui barrant le passage Plaît-il? SIEBEL Maudit homme! encor là! ... MÉPHISTOPHÉLÈS Eh quoi, mon ami! vous voilà! ... Ah! ah! vraiment! mon ami! vous voilà! FAUST abordant Marguerite Ne permettrez-vous pas, ma belle demoiselle, Qu'on vous offre le bras pour faire le chemin? MARGUERITE Non, monsieur! je ne suis demoiselle, ni belle, Et je n'ai pas besoin qu'on me donne la main! Elle passe devant Faust et s'éloigne. FAUST Par le ciel! que de grâce ... et quelle modestie! O belle enfant, je t'aime ... SIEBEL Elle est partie! MÉPHISTOPHÉLÈS à Faust Eh bien? FAUST Eh bien! On me repousse! MÉPHISTOPHÉLÈS en riant Allons! à tes amours Je le vois, cher docteur, il faut prêter secours! Méphistophélès et Faust s'éloignent. PREMIÈRE GROUPE DE JEUNES FILLES Qu'est-ce donc? DEUXIÈME GROUPE DE JEUNES FILLES Marguerite, Qui de ce beau seigneur refuse la conduite! ... LES ÉTUDIANTS Valsons encor! ... TOUS Valsons toujours! ... CHŒUR Ainsi que la brise légère Soulève en épais tourbillons La poussière Des sillons. Que la valse vous entraîne Faites retentir la plaine De l'éclat de vos chansons. Jusqu'à perdre haleine! ... Jusqu'à mourir! Un dieu les entraîne, C'est le plaisir! ... La terre tournoie! Et fuit loin d'eux! Quel bruit, quelle joie Dans tous les yeux! Le jardin de Marguerite. Au fond, un mur percé d'une petite porte. A gauche, un bosquet. A droite, un pavillon dont la fenêtre fait face au public. Arbres et massifs. N° 10 - Entr'acte et couplets SCÈNE I Siebel entre par la petite porte du fond et s'arrête sur le seuil du pavillon, près d'un massif de roses et de lilas. SIEBEL Faites-lui mes aveux, Portez mes vœux, Fleurs écloses près d'elle, Dites-lui qu'elle est belle, Que mon cœur nuit et jour Languit d'amour! Révélez à son âme Le secret de ma flamme! Qu'il s'exhale avec vous Parfums plus doux! ... Il cueille une fleur. Fanée! Il jette la fleur avec dépit Ce sorcier que Dieu condamne M'a porté malheur! Il cueille une autre fleur qui s'effeuille encore. Je ne puis sans qu'elle se fane Toucher une fleur! Si je trempais mes doigts dans l'eau bénite! C'est là que chaque soir vient prier Marguerite! Il trempe ses doigts dans le bénitier accroché au mur. Voyons maintenant! voyons vite! Elles se fanent! ... Non! – Satan, je ris de toi! C'est en vous que j'ai foi; Parlez pour moi! Qu'elle puisse connaître L'émoi qu'elle a fait naître, Et dont mon cœur troublé N'a point parlé! Si l'amour l'effarouche, Que la fleur sur sa bouche Sache au moins déposer Un doux baiser! Il disparaît dans les massifs du jardin. SCÈNE II Faust, Méphistophélès, Siebel N° 11 - Scène et Récitatif Faust et Méphistophélès entrent par la porte du fond. FAUST C'est ici? MÉPHISTOPHÉLÈS Suivez-moi! FAUST Que regardes-tu là. MÉPHISTOPHÉLÈS Siebel, votre rival! FAUST Siebel! MÉPHISTOPHÉLÈS Chut! ... le voila! Méphistophélès et Faust entrent dans le bosquet. SIEBEL rentrant en scène, un bouquet à la main Mon bouquet n'est-il pas charmant? MÉPHISTOPHÉLÈS à part Charmant! SIEBEL Victoire! Je lui raconterai demain toute l'histoire, Et, si l'on veut savoir le secret de mon cœur, Un baiser lui dira le reste! Il attache le bouquet à la porte du pavillon. MÉPHISTOPHÉLÈS à part Séducteur! SCÈNE III Méphistophélès, Faust MÉPHISTOPHÉLÈS Attendez-moi là, cher docteur! Pour tenir compagnie aux fleurs de votre élève, Je vais vous chercher un trésor Plus merveilleux, plus riche encor Que tous ceux qu'elle voit en rêve! FAUST Laisse moi! MÉPHISTOPHÉLÈS J'óbéis! ... Daignez m'attendre ici! Il sort par la porte du fond. FAUST Quel trouble inconnu me pénètre? Je sens l'amour s'emparer de mon être O Marguerite! à tes pieds me voici! SCÈNE IV Faust seul N° 12 - Cavatine FAUST Salut! demeure chaste et pure, où se devine La présence d'une âme innocente et devine! ... Que de richesse en cette pauvreté! En ce réduit que de félicité! ... O nature, c'est là que tu la fis si belle, C'est là que cette enfant à grandi sous ton aile, A dormi sous tes yeux! Là que, de ton haleine enveloppant son âme, Tu fis avec amour épanouir la fêmme En cet ange des cieux! Salut! demeure chaste et pure, où se divine La présence d'une âme innocente et devine! SCÈNE V Méphistophélès, Faust N° 13 - Scène MÉPHISTOPHÉLÈS il a une cassette sous le bras Alerte, la voila! ... Si le bouquet l'emporte Sur l'écrin, je consens à perdre mon pouvoir. FAUST Fuyons, je veux ne jamais la revoir! MÉPHISTOPHÉLÈS Quel scrupule vous prend! ... Sur le seuil de la porte, Voici l'écrin placé! ... venez! ... j'ai bon espoir! ... Il place la cassette sur le seuil du pavillon. Sortent. SCÈNE VI Marguerite, seule N° 14 - Récitatif MARGUERITE entre par la porte du fond et descend en silence j'usque sur le devant de la scène Je voudrais bien savoir quel était ce jeune homme, Si c'est un grand seigneur, et comment il se nomme? Elle s'assied dans le bosquet, devant son rouet et chante N° 14 - Chanson du Roi de Thule I. Il était un roi de Thulé Qui, jusqu'à la tombe fidèle, Eut, en souvenir de sa belle, Une coupe en or ciselé! ... S'interrompant Il avait-bonne grâce, à ce qu'il m'a semblé. Reprenant sa chanson Nul trésor n'avait tant de charmes! Dans les grands jours il s'en servait, Et chaque fois qu'il y buvait, Ses yeux se remplissaient de larmes! ... II. Quand il sentit venir la mort, Etendu sur sa froide couche, Pour la porter jusqu'à sa bouche Sa main fit un suprème effort! ... S'interrompant Je ne savais que dire, et j'ai rougi d'abord. Reprenant sa chanson Et puis, en l'honneur de sa dame, Il but une dernière fois; La coupe trembla dans ses doigts, Et doucement il rendit l'âme! Elle se lève Les grands seigneurs ont seuls des airs si résolus, Avec cette douceur! Allons! n'y pensons plus! Cher Valentin, si Dieu m'écoute, Je te reverrai! me voilà Toute seule! Elle se dirige vers le pavillon et aperçoit le bouquet suspendu à la porte Un bouquet! ... Elle prend le bouquet. C'est de Siebel, sans doute! Pauvre garçon! Apercevant la cassette. Que vois-je là? ... D'où ce riche coffret peut-il venir? ... Je n'ose Y toucher, et pourtant ... – Voici la clef, je crois! ... Si je l'ouvrais! ... ma main tremble! ... Pourquoi? Je ne fais, en l'ouvrant, rien de mal, je suppose! ... Elle ouvre la cassette et laisse tomber le bouquet. O Dieu! que de bijoux! ... est-ce un rève charmant Qui m'éblouit, ou si je veille? ... Mes yeux n'ont jamais vu de richesse pareille! ... Elle place la cassette sur une chaise et s'agenouille pour se parer. Si j'osais seulement Me parer un moment De ces pendants d'oreille! ... Elle tire des boucles d'oreille de la cassette Ah! voici justement, Au fond de la cassette, Un miroir! ... comment N'être pas coquette? N° 14 - Air des bijoux Elle se pare des boucles d'oreilles, se lève et se regarde dans le miroir. Ah! je ris de me voir, Si belle en ce miroir! Est-ce toi, Marguerite? Réponds-moi, réponds vite! – Non! non! – ce n'est plus toi! Non! non! – ce n'est plus ton visage! C'est la fille d'un roi, Qu'on salue au passage! – Ah, s'il était ici! ... S'il me voyait ainsi! Comme une demoiselle, Il me trouverait belle. Elle se pare du collier. Achevons la métamorphose! Il me tarde encor d'essayer Le bracelet et le collier! Elle se pare du bracelet et se lève. Dieu! c'est comme une main qui sur mon bras se pose! Ah! je ris de me voir Si belle en ce miroir! Est-ce toi, Marguerite? Reponds-moi, reponds vite! – Ah, s'il était ici! ... S'il me voyait ainsi! Comme une demoiselle, Il me trouverait belle. Marguerite, ce n'est plus toi, Ce n'est plus ton visage, Non! c'est la fille d'un roi, Qu'on salue au passage. SCÈNE VII Marthe, Marguerite N° 15 - Scène MARTHE entrant par la petite porte Seigneur Dieu, que vois-je! comme vous voilà belle, Mon ange! ... – D'où vient ce riche écrin? MARGUERITE embarrassée Hélas! on l'aura par mégarde apporté. MARTHE Que non pas! Ces bijoux sont à vous, ma chère demoiselle! Qui, c'est là le cadeau d'un seigneur amoureux! Mon cher époux jadis était moins généreux! SCÈNE VIII Les mêmes, Méphistophélès, Faust MÉPHISTOPHÉLÈS faisant une grande révérence Dame Marthe Schwertlein, s'il vous plaît? MARTHE Qui m'appelle? MÉPHISTOPHÉLÈS Pardon d'oser ainsi nous présenter chez vous! bas à Faust Vous voyez qu'elle a fait bon accueil aux bijoux? haut à Marthe Dame Marthe Schwertlein! MARTHE Me voici! MÉPHISTOPHÉLÈS La nouvelle Que j'apporte n'est pas pour vous mettre en gaieté. – Votre mari, madame, est mort et vous salue! MARTHE Ah! ... grand Dieu! ... MARGUERITE Qu'est-ce donc? MÉPHISTOPHÉLÈS Rien! ... MARTHE O calamité! O nouvelle imprévue! ... MARGUERITE à part Malgré moi mon cœur tremble Et tressaille à sa vue! FAUST à part La fièvre de mes sens se dissipe à sa vue! MÉPHISTOPHÉLÈS à Marthe Votre mari, madame, est mort et vous salue! MARTHE Ne m’apportez-vous rien de lui? MÉPHISTOPHÉLÈS Rien ! Et pour le punir, Il faut dès aujourd’hui Chercher quelqu’un qui le remplace! FAUST à Marguerite Pourquoi donc quitter ces bijoux ? MARGUERITE Ces bijoux ne sont pas à moi ! Laissez, de grâce ! MÉPHISTOPHÉLÈS à Marthe Qui ne serait heureux d’échanger avec vous La bague d’hyménée ? MARTHE Ah! bah! Plaît-il? MÉPHISTOPHÉLÈS Hélas, cruelle destinée! N° 16 - Quatuor Marthe et Méphistophélès causent à voix basse FAUST à Marguerite Prenez mon bras un moment. MARGUERITE se défandant Laissez! ... Je vous en conjure! MÉPHISTOPHÉLÈS à Marthe Votre bras! MARTHE à part Il est charmant! MÉPHISTOPHÉLÈS à part La voisine est un peu mûre. MARGUERITE Je vous en conjure! MARTHE Quelle noble allure! FAUST Ame douce et pure ! MÉPHISTOPHÉLÈS Elle est un peu mûre. MARTHE Ainsi vous voyagez toujour? MÉPHISTOPHÉLÈS Toujours! Dure nécessité, Madame Dure nécessité! Sans ami, sans parents! ... sans fêmme. Ah! MARTHE Cela sied encore aux beaux jours! Mais plus tard, combien il est triste De vieillir seul, en égoiste! ... MÉPHISTOPHÉLÈS J'ai frémi souvent, j'en conviens, Devant cette horrible pensée! ... MARTHE Avant que l'heurre en soit passée Digne seigneur, songez-y bien! MÉPHISTOPHÉLÈS J'y songerai! MARTHE Songez-y bien! Ils s'éloignent. Marguerite et Faust rentrent en scène. FAUST Eh quoi! toujours seule?… MARGUERITE Mon frère est soldat; j'ai perdu ma mère; Puis ce fut un autre malheur, Je perdis ma petite sœur! Pauvre ange! Elle m'était bien chère! ... C'était mon unique souci; Que de soins, hélas! ... que de peines! ... C'est quand nos âmes en sont pleines Que la mort nous les prend ainsi! ... Sitôt qu'elle s'éveillait, vite Il falait que je fusse là! Elle n'aimait que Marguerite! ... Pour la voir, la pauvre petite, Je reprendrais bien tout cela! ... FAUST Si le Ciel, avec un sourire, L'avait faite semblable à toi, C'était un ange! ... oui, je le crois! ... Méphistophélès et Marthe reparaissent. MARGUERITE Vous moquez-vous? FAUST Non, je t’admire! MARGUERITE Je ne vous crois pas! Et de moi tout bas Vous riez sans doute!… J’ai tort de rester Pour vous écouter!… Et pourtant j’écoute !… FAUST Laisse-moi ton bras!… Dieu ne m’a-t-il pas Conduit sur la route? Pourquoi redouter, Hélas! d’écouter?… Mon cœur parle ; écoute !… MARTHE Vous n’entendez pas, Et de moi tout bas Vous riez sans doute ! Avant d’écouter, Pourquoi vous hâter De vous mettre en route ? MÉPHISTOPHÉLÈS Ne m’accusez pas, Si je dois, hélas! Me remettre en route. Faut-il attester Qu’on voudrait rester Quand on vous écoute ? MARGUERITE à Faust Retirez-vous ! Voici la nuit. FAUST Chère âme ! MARGUERITE Laissez-moi! ... Elle se dégage et s'enfuit. FAUST Ah! méchante! ... on me fuit! Il la suit. MÉPHISTOPHÉLÈS à part, tandis que Marthe, dépitée, lui tourne le dos L'entretien devient trop tendre! Esquivons-nous! Il se cache derrière un arbre. MARTHE à part Comment m'y prendre? Se retournant Eh bien! il est parti! ... Seigneur! MÉPHISTOPHÉLÈS Oui! ... MARTHE Cher seigneur! Elle s'éloigne. MÉPHISTOPHÉLÈS Cours après moi! Ouf! Cette vieille impitoyable De force ou de gré, je crois, Allait épouser le diable! FAUST dans la coulisse Marguerite! MARTHE dans la coulisse Cher seigneur! MÉPHISTOPHÉLÈS Serviteur! SCÈNE IX Siebel, Marthe, Méphistophélès N° 17 - Scène Siebel ouvre avec précaution la porte du fond et entre en scène SIEBEL à demi-voix Du courage! ... Je veux tout lui dire! MARTHE rentrent en scène C'est lui! MÉPHISTOPHÉLÈS à part Non! MARTHE Seigneur! Cher Seigneur! SIEBEL Plaît-il? MARTHE C'est Siebel! MÉPHISTOPHÉLÈS à part Oui! MARTHE Dans le jardin de Marguerite Que venez-vous chercher à pareille heure? Allons, bel amoureux, je vous invite A nous tourner promptement les talons. SIEBEL Mais? ... MARTHE Que diraient les voisins! Allons vite! montrez-moi le chemin! à part Il sera parti. MÉPHISTOPHÉLÈS à part Non! SIEBEL Je reviendrai demain. Bonsoir! Siebel et Marthe sortent par le fond. SCÈNE X MÉPHISTOPHÉLÈS seul Il était temps! sous le feuillage sombre Voici nos amoureux qui reviennent! ... c'est bien! Gardons-nous de troubler un si doux entretien! O nuit, étends sur eux ton ombre! Amour, ferme leur âme aux remords importuns! Et vous, fleurs aux subtils parfums, Épanouissez-vous sous cette main maudite! Achevez de troubler le cœur de Marguerite! ... Il s'éloigne et disparaît dans l'ombre. SCÈNE XI Marguerite, Faust N° 18 - Duo MARGUERITE courant vers le Pavillon Il se fait tard,…adieu! FAUST l'arrêtant sur les premiers degrés de l'escalier Quoi, je t'implore en vain, Attends, laisse ma main s'oublier dans la tienne! Laisse-moi, laisse-moi contempler ton visage Sous la pâle clarté Dont l'astre de la nuit, comme dans un nuage, Caresse ta beauté! ... MARGUERITE O silence! ô bonheur! ineffable mystère! Enivrante langueur! J'écoute ! Et je comprends cette voix solitaire Qui chante dans mon cœur! Laissez un peu, de grace! ... Elle se penche et cueille une marguerite. FAUST Qu'est-ce donc? MARGUERITE Un simple jeu! Laissez un peu! Elle effeuille la Marguerite. FAUST Que dit ta bouche à voix basse? MARGUERITE Il m'aime! – Il ne m'aime pas! – Il m'aime! – pas! – Il m'aime! – pas. – Il m'aime. FAUST Oui! ... crois en cette fleur éclose sous tes pas! Il l'embrasse Quelle soit pour ton cœur l'oracle du ciel même! Il t'aime! ... comprends-tu ce mot sublime et doux? Aimer! porter en nous Une ardeur toujours nouvelle! prenant Marguerite dans ses bras Nous enivrer sans fin d'une joie éternelle! FAUST ET MARGUERITE Éternelle! FAUST O nuit d'amour! ... ciel radieux! ... O douces flammes! ... Le bonheur silencieux Verse les cieux Dans nos deux âmes! MARGUERITE Je veux t'aimer et te chérir! ... Parle encore! Je t'appartiens! ... je t'adore! ... Pour toi je veux mourir! ... FAUST Marguerite! ... MARGUERITE Ah! ... partez! ... FAUST Cruelle! MARGUERITE Je chancelle! FAUST Me séparer de toi, cruelle! MARGUERITE suppliante Laissez-moi ! Ah, partez, oui, partez vite ! Je tremble ! hélas ! J’ai peur ! Ne brisez pas le cœur De Marguerite ! FAUST Tu veux que je te quitte! Hélas! ... vois ma douleur! Tu me brise le cœur. O Marguerite! MARGUERITE Si je vous suis chère, Par votre amour, par ces aveux Que je devais taire, Cédez à ma prière! ... Cédez à mes vœux! ... Partez! partez! oui, partez vite! Elle tombe aux pieds de Faust. FAUST la relevant doucement Divine pureté! ... Chaste innocence, Dont la puissance Triomphe de ma volonté! ... J'obéis! ... Mais demain! ... MARGUERITE Oui demain! ... dès l'aurore! ... Demain! ... toujours! ... FAUST Un mot encore! ... Répète-moi ce doux aveu! ... Tu m'aimes! ... MARGUERITE s'échappe, court au pavillon, s'arrête sur le seuil et envoie un baiser à Faust Adieu! ... Elle entre dans le pavillon. FAUST Félicité du ciel! ... Ah! ... fuyons! ... Il s'élance vers la porte. Méphistophélès lui barre le passage. SCÈNE XII Méphistophélès, Faust MÉPHISTOPHÉLÈS Tête folle! FAUST Tu nous écoutais? MÉPHISTOPHÉLÈS Par bonheur! ... Vous auriez grand besoin, docteur, Qu'on vous renvoyât à l'école! ... FAUST Laisse-moi! ... MÉPHISTOPHÉLÈS Daignez, seulement Ecouter un moment Ce qu'elle va conter aux étoiles, Cher maître! ... Tenez! ... Elle ouvre sa fenêtre! ... SCÈNE XIII Lés mêmes, Marguerite MARGUERITE ouvre la fenêtre du pavillon et s'y appuie un moment en silence, la tête entre ses mains. Il m'aime! ... quel trouble en mon cœur! L'oiseau chante! ... le vent murmure! ... Toutes les voix de la nature Me redisent en chœur: Il t'aime! ... – Ah! qu'il est doux de vivre! ... Le ciel me sourit; ... l'air m'enivre! ... Est-ce de plaisir et d'amour Que la feuille tremble et palpite? ... Demain? ... – Ah! presse ton retour, Cher bien-aimé! ... Viens! ... FAUST s'élançant vers la fenêtre et saisissant la main de Marguerite. Marguerite! MARGUERITE Elle reste un moment interdite, et laisse tomber sa tête sur l'épaule de Faust. Ah! MÉPHISTOPHÉLÈS ouvre la port du jardin et sort en ricanant. Hein! hein! La Chambre de Marguerite SCÈNE I Marguerite, seul. N° 19 - Marguerite au Rouet MARGUERITE elle s'approche de la fenêtre et écoute. Elles ne sont plus là! – Je riais avec elles Autrefois! .... Maintenant ... VOIX DE JEUNES FILLES dans la rue Le galant étranger s'enfuit ... et court encor. Ah! ah! ah! Elles s'éloignent en riant. MARGUERITE Elles se cachaient! Ah! cruelles! Je ne trouvais pas d'outrage assez fort Jadis pour les péchés des autres! ... Un jour vient où l'on est sans pitié pour les nôtres! Je ne suis que honte à mon tour! Et pourtant, Dieu le sait, je n'était pas infâme; Tous ce qui t'entraîna, mon âme, S'il allait paraître, Quelle joie! ... Hélas! Où donc peut-il être? Il ne revient pas! ... Elle laisse tomber sa tête sur sa poitrine et fond en larmes. Le fuseau s'échappe de ses mains. SCÈNE II Siebel, Marguerite. N° 20 - Scène et Récitatif SIEBEL Marguerite! MARGUERITE Siebel! SIEBEL Encor des pleurs! MARGUERITE Hélas! vous seul ne me maudissez pas. SIEBEL Je ne suis qu'un enfant, mais je le cœur d'un homme. Et je vous vengerai de son lâche abandon! Je le tuerai! MARGUERITE Qui donc? SIEBEL Faut-il que je le nomme? L'ingrat qui vous trahit! Romance Supplément de Gounod SIEBEL Si le bonheur à sourire t'invite, Joyeux alors, je sens un doux émoi, Si la douleur t'accable, Marguerite, Je pleure alors, je pleure comme toi. Comme deux fleurs sur une même tige Notre destin suivait le même cours De tes chagrins en frère je m'afflige, O Marguerite! comme une sœur je t'aimerai toujours! MARGUERITE Non, taisez-vous! SIEBEL Pardon, vous l'aimez encore? MARGUERITE Oui! Toujours! mais ce n'est pas à vous De plaindre mon ennui. J'ai tort, Siebel, de vous parler de lui. Siebel lui prend la main. MARGUERITE remerciant Siebel. Soyez béni, Siebel! votre amitié m'est douce! Ceux dont la main cruelle me repousse, N'ont pas fermé pour moi les portes du saint lieu; J'y vais pour mon enfant ... et pour lui prier Dieu! Elle sort. SCÈNE III Changement de scène: l'église. Marguerite, Méphistophélès, chœur N° 21 - Scène de l'Eglise MARGUERITE vient et s'agenouille près d'un pilier. Seigneur, daignez permettre à votre humble servante De s'agenouiller devant vous! LA VOIX DE MÉPHISTOPHÉLÈS Non! Tu ne prieras pas! ... Frappez-la d'épouvante! Esprits du mal, accourez tous! CHŒUR DE DÉMONS Marguerite! MARGUERITE Qui m'appelle? CHŒUR DE DÉMONS Marguerite! MARGUERITE Je chancelle! Je meurs! Dieu bon! Dieu clément! Est-ce déjà l'heure du châtiment? MÉPHISTOPHÉLÈS Non, Dieu pour toi n'a plus de pardon! Le ciel n'a plus d'aurore! Non, ... non! CHANT RELIGIEUX Que dirai-je alors au Seigneur? Où trouverai'je un protecteur, Quand l'innocent n'est pas sans peur! MARGUERITE Ah! ce chant m'étouffe et m'oppresse! Je suis dans un cercle de fer! MÉPHISTOPHÉLÈS Adieu les nuits d'amour et les jour pleins d'ivresse! A toi malheur! ... à toi l'enfer! Il disparait. MARGUERITE ET LE CHŒUR RELIGIEUX Seigneur, accueillez la prière, Des cœurs malheureux! Qu'un rayon de votre lumière Descende sur eux! LA VOIX DE MÉPHISTOPHÉLÈS Marguerite! Sois maudite! MARGUERITE pousse un cri et tombe évanouie sur les dalles. Ah! LA VOIX DE MÉPHISTOPHÉLÈS A toi l'enfer! SCÈNE IV Changement de scène. La rue. A droite, la maison de Marguerite; à gauche, une église. Marthe, Siebel; puis Valentin et Soldats. N° 22 - Chœur des soldats MARTHE Ecoutez! les voici! venez vite! Sauvez-là, Siebel, j'espère en vous! Sort CHŒUR Déposons les armes; Dans nos foyers enfin nous voici revenus! Nos mères en larmes Nos mères et nos sœurs ne nous attendront plus! VALENTIN apercevant Siebel. Eh! parbleu! c'est Siebel! SIEBEL embarrassé. En effet, je – VALENTIN Viens vite, viens dans mes bras! Il l'embrasse. Et Marguerite? SIEBEL Elle est à l'église, je croi. VALENTIN Oui, priant Dieu pour moi! .... Chère sœur! comme elle va préter une oreille attentive, Au récit de nos combats! LE CHŒUR Oui, c'est plaisir, dans les familles, De conter aux enfants qui frémissent tout bas, Aux vieillards, aux jeunes filles, La guerre et ses combats! Gloire immortelle De nos aïeux Sois-nous fidèle, Mourons comme eux! Et sous ton aile, Soldats vainqueurs, Dirige nos pas, enflamme nos cœurs! Pour toi, mère patrie, Affrontant le sort Tes fils, l'âme aguerrie, Ont bravé la mort! Ta voix sainte nous crie: En avants, soldats! Le fer à la main, courrez aux combats! Gloire immortelle De nos aïeux, Sois-nous fidèle, Mourons comme eux! Et sous ton aille, Soldats vainqueurs, Dirige nos pas, enflamme nos cœurs! Vers nos foyers hâtons le pas! On nous attend; la paix est faite! Plus de soupirs! ne tardons pas! Notre pays nous tend les bras! L'amour nous rit, l'amour nous fête! Et plus d'un cœur fremit tous bas Au souvenir de nos combats! Gloire immortelle De nos aïeux, Sois-nous fidèle, Mourons comme eux! Et sous ton aile, Soldats vainqueurs, Dirige nos pas, enflamme nos cœurs! Le chœur s'éloigne. SCÈNE V Valentin, Siebel N° 23 - Récitatif VALENTIN Allons, Siebel, entrons dans la maison! Le verre en main, tu me feras raison! SIEBEL Non! n'entre pas! VALENTIN Pourquoi? tu detourne la tête? Ton regard fuit le mien! Siebel, explique-toi! SIEBEL Eh bien! ... non, je ne puis! VALENTIN Que veux-tu dire? SIEBEL Arrête! Sois clement, Valentin! VALENTIN Laisse-moi! laisse-moi! Ils entre dans la maison. SIEBEL Pardonne-lui! Mon Dieu! je vous implore! Mon Dieu! SCÈNE VI Faust, Méphistophélès une guitarre sous son manteau MÉPHISTOPHÉLÈS Qu'attendez-vous encore? Entrons dans la maison! FAUST Tais-toi, maudit! ... j'ai peur De rapporter ici la honte et le malheur! MÉPHISTOPHÉLÈS A quoi bon la revoir, après l'avoir quittée! Notre présence ailleurs serait bien mieux fêtée! Le sabbat nous attend! FAUST Marguerite! MÉPHISTOPHÉLÈS Je vois que mes avis sont vains et que l'amour l'emporte! Mais pour vous faire ouvrir la porte, Vous avez grand besoin du secours de ma voix. N° 24 - Sérénade MÉPHISTOPHÉLÈS écartant son manteau et s'accompagnant de sa guitarre. Vous qui faites l'endormie N'entendez-vous pas, O Catherine, ma mie, Ma voix et mes pas? ... Ainsi ton galant t'appelle, Et ton cœur l'en croit! ... N'ouvre la porte, ma belle, Que la bague au doigt. FAUST parle Par l'enfer, tais-toi! MÉPHISTOPHÉLÈS Catherine que j'adore, Pourquoi refuser A l'amant qui vous implore Un si doux baiser? Ainsi ton galant supplie Et ton cœur l'en croit! ... Ne donne un baiser, ma mie, Que la bague au doigt! ... SCÈNE VII Les Mêmes, Valentin N° 25 - Trio du Duel Valentin sort de la maison VALENTIN Que voulez-vous, Messieurs? MÉPHISTOPHÉLÈS Pardon! mon camerade, Mais ce n'est pas pour vous qu'était la sérénade! VALENTIN Ma sœur l'écouterait mieux que moi, je le sais! Il dégaine et brise la guitarre de Méphistophélès d'un coup d'épée. FAUST Sa sœur! MÉPHISTOPHÉLÈS Quelle mouche vous pique? Vous n'aimez donc pas la musique? VALENTIN Assez d'outrage! ... assez! ... A qui de vous dois-je demander compte De mon malheur et de ma honte? ... Qui de vous deux doit tomber sous mes coups? MÉPHISTOPHÉLÈS Vous le voulez? – Allons, docteur, à vous! ... Ils tirent les épées. Tu t'en repentiras! VALENTIN En garde! ... et défends-toi! ... MÉPHISTOPHÉLÈS à Faust. Serrez-vous contre moi! Et poussez seulement, cher docteur, moi, je pare. Valentin tombe. MÉPHISTOPHÉLÈS Voici notre héros étendu sur le sableAu large maintenant! ... au large! ... Il entraîne Faust. SCÈNE VIII Marthe, Valentin, Bourgeois; puis Marguerite et Siebel. N° 26 - Mort de Valentin MARTHE ET LE CHŒUR Par ici, mes amis! on se bat dans la rue! .... L'un deux est tombé là, regardez ... le voici! ... Il n'est pas encore mort! ... on dirait qu'il remue! Vite, approchons! ... il faut le secourir! VALENTIN Merci! Des vos plaintes, faites-moi grace! ... J'ai vu, morbleu! la mort en face Trop souvent pour en avoir peur! ... Marguerite parait au fond soutenue de Siebel. MARGUERITE Valentin! Valentin! Elle tombe à genoux près de Valentin. VALENTIN Marguerite! ma sœur! ... Que me veux-tu? Il la repousse. Va-t'en! MARGUERITE O Dieu! VALENTIN Je meurs pour elle! ... J'ai sottement Cherché querelle A son amant! CHŒUR Son amant! SIEBEL Grâce! grâce! pour elle! MARGUERITE Douleur cruelle! ô châtiment! ... CHŒUR Il meurt pour elle! SIEBEL Grâce, grâce! soyez clément! CHŒUR Il meurt, frappé par son amant! VALENTIN se soulevant, soutenu par eux qui l'entourent. Écoute-moi bien, Marguerite: solennellement Ce qui doit arriver arrive à l'heure dite! La mort nous frappe quand il faut, Et chacun obéit aux volontés d'en haut! Toi! ... te voilà dans la mauvaise voie! ... Tes blanches mains ne traveilleront plus! Tu renîras, pour vivre dans la joie, Tous les devoirs et toutes les vertus! ... Oses-tu bien encor, Oses-tu misérable, Garder ta chaîne d'or? ... Marguerite arrache la chaîne qu'elle porte au cou et la jette loin d'elle. Va! ... la honte t'accable! Le remords suit tes pas! ... Mais enfin! ... l'heure sonne! Meurs! ... et si Dieu te pardonne Sois maudite ici-bas! SIEBEL, MARTHE ET LE CHŒUR O terreur, ô blasphème, A ton heure suprème, Infortuné! Songe, helas! à toi-même Pardonne, si tu veux être un jour pardonné! ... VALENTIN Marguerite Sois maudite! La mort t'attend sur ton grabat! ... Moi, je meurs de ta main, et je tombe en soldat! Il meurt. On l'emporte dans la maison. Siebel entraine Marguerite éperdue. CHŒUR Que le seigneur ait son âme Et pardonne au pêcheur! – SCÈNE I Les montagnes du Hartz N° 27 - La nuit de Walpurgis CHŒUR DES FEUX FOLLETS Dans les bruyères, Dans les roseaux, Parmi les pierres, Et sur les eaux, De place en place, Perçant la nuit, S'allume et passe Un feu qui luit! Alerte! alerte! De loin, de près, Dans l'herbe verte, Sous les cyprès, Mouvantes flammes, Rayons glacés, Ce sont les âmes Des trépassés! Méphistophélès et Faust paraissent sur une cime élevée. FAUST Arrête! MÉPHISTOPHÉLÈS N'as-tu pas promis De m'accompagner sans rien dire? FAUST Où sommes-nous? MÉPHISTOPHÉLÈS Dans mon empire! Ici, docteur, tout m'est soumis. Voici la nuit de Walpurgis! CHŒUR Voici la nuit de Walpurgis! Hou, hou! FAUST Mon sang se glace! Il veut fuir. MÉPHISTOPHÉLÈS le retenant. Attends! Je n'ai qu'un signe à faire Pour qu'ici tout change et s'éclaire! ... SCÈNE II La montagne s'entr'ouvre et laisse voir un vaste palais resplendissant d'or, au milieu duquel se dresse une table richement servie et entourée des reines et des courtisanes de l'antiquité. N° 28 - Scène et Chœur MÉPHISTOPHÉLÈS à Faust Jusqu'aux premiers feux du matin, A l'abri des regards profanes, Je t'offre une place au festin Des reines et des courtisanes! ... CHŒUR Que les coupes s'emplissent! Au nom des anciens dieux, Que les airs retentissent De nos accords joyeux! MÉPHISTOPHÉLÈS Reines de beauté De l'antiquité Cléopâtre aux doux yeux, Laïs au front charmant, Laissez-nous, laissez-nous au banquet Prendre place un moment Allons! SCÈNE III Changement partiel: La vallée du Brocken. Faust se relève et jette la coupe loin de lui. Le palais s'écroule avec fracas. Marguerite apparaît sur un rocher. MÉPHISTOPHÉLÈS Qu'as tu donc? FAUST Ne la vois-tu pas Là, devant nous, muette et blême? Quel étrange ornement autour de ce beau cou Un ruban rouge qu'elle cache! Un ruban rouge étroit comme un tranchant de hache! L'image de Marguerite disparaît. Marguerite! ... je sens se dresser me cheveux! Je veux la voir! ... Viens! – je le veux! Il entraîne Méphistophélès et s'ouvre, l'épée à la main, un passage à travers la foule des démons. SCÈNE IV Changement de scène: La prison. Marguerite, endormie. Faust, Méphistophélès N° 30 - Scène de la prison MÉPHISTOPHÉLÈS Le jour va luire. – On dresse l'échafaud. Décide sans retard Marguerite à te suivre, Le geôlier dort, – voici les clefs, il faut Que ta main d'homme la délivre! FAUST Laisse-moi! MÉPHISTOPHÉLÈS Hâte-toi! – Moi, je veille au dehors! Il sort. SCÈNE V Faust, Marguerite FAUST Mon cœur est pénétré d'épouvante! – O torture! O source de regrets et d'éternels remords! C'est elle! – La voici, la douce créature, Jetée au fond d'une prison Comme une vile criminelle! Le désespoir égara sa raison! ... Son pauvre enfant, ô Dieu! ... tué par elle! ... Marguerite! MARGUERITE s'éveillant. Ah! c'est la voix du bien aimé! Elle se lève. A son appel mon cœur s'est ranimé. FAUST Marguerite! MARGUERITE Au milieu de vos élats de rire, Démons qui m'entourez, j'ai reconnu sa voix! FAUST Marguerite! MARGUERITE Sa main, sa douce main m'attire! Je suis libre, il est là, je l'entends, je le vois! Oui, c'est toi! je t'aime! Les fers, la mort même Ne me font plus peur, Tu m'as retrouvée, Me voilà sauvée! C'est toi, je suis sur ton cœur! FAUST Oui, c'est moi, je t'aime! Malgré l'éffort même Du démon moqueur, Je t'ai rétrouvée! Te voilà sauvée Viens, viens sur mon cœur! MARGUERITE Attends! ... voici la rue Où tu m'as vue, Pour la première fois! ... Où votre main osa presque effleurer mes doigts! »Ne permettrez-vous pas, ma belle demoiselle. Qu'on vous offre le bras pour faire le chemin? Non, monsieur, je ne suis demoiselle ni belle, Et je n'ai pas besoin qu'on me donne la main.« FAUST Oui, mon cœur se souvient! Mais suis-moi l'heure passe! MARGUERITE Non! ... Reste encore! et que ton bras Comme autrefois au mien s'enlace! FAUST Viens, viens, Marguerite! MARGUERITE Non! FAUST Viens! fuyons! Il veut l'entrainer. MARGUERITE Non, reste encore! FAUST O ciel! Elle ne m'entend pas! SCÈNE VI Les mêmes, Méphistophélès N° 31- Trio-Finale MÉPHISTOPHÉLÈS Alerte! alerte! ou vous êtes perdus! Si vous tardez encor je ne m'en mêle plus! MARGUERITE Le démon! le démon! – Le vois-tu? ... là ... dans lombre Fixant sur nous son œil de feu! Que nous veut-il? – Chasse le du saint lieu! MÉPHISTOPHÉLÈS Quittons ce lieu sombre! Le jour est levé De leur pied sonore J'entends nos chevaux frapper le pavé! cherchant à entraîner Faust. Viens! sauvons-la! Peut'être il en est temps encore. MARGUERITE Mon Dieu, protégez-moi! Mon Dieu, je vous implore ! FAUST Viens, fuyons! Peut-être en est-il temps encore! MARGUERITE Anges pure, anges radieux, Portez mon âme au sein des cieux! Dieu juste, à toi je m’abandonne! Dieu bon, je suis à toi, pardonne! FAUST Viens, suis-moi, je le veux! MARGUERITE Anges pure, anges radieux, Portez mon âme au sein des cieux! MÉPHISTOPHÉLÈS Hâtons-nous! L’heure sonne! FAUST Viens! Suis-moi! MARGUERITE Dieu juste, à toi je m’abandonne! Dieu bon, je suis à toi, pardonne! FAUST Viens, suis-moi, je le veux! Viens! Quittons ces lieux! Déjà le jour envahit les cieux! Viens, c’est moi qui te l’ordonne! Déjà le jour envahit les cieux! MÉPHISTOPHÉLÈS Hâtons-nous de quitter ces lieux! Déjà le jour envahit les cieux! Suis nos pas, ou je t’abandonne! Hâtons-nous de quitter ces lieux! MARGUERITE Anges pure, anges radieux, Portez mon âme au sein des cieux! FAUST Marguerite! MARGUERITE Pourquoi ce regard menaçant? FAUST Marguerite! MARGUERITE Pourquoi ces mains rouge de sang? Va! ... tu me fais horreur! Elle tombe sans mouvement. FAUST Ah! MÉPHISTOPHÉLÈS Jugée! N° 32 - Apothéose Sons de cloches de Pâques. Les murs de la prison se sont ouverts. L'âme de Marguerite s'élève dans les cieux. Faust tombe à genoux et prie. Méphistophélès est à demi renversé sous l'épée lumineuse de l'archange. CHŒUR GÉNÉRAL Sauvée! Christ est ressuscité! Christ vient de renaître! Paix et félicité Aux disciples du maître! Christ vient de renaître! Christ est ressuscité! |
libretto by Jules Barbier, Michel Carré |